La dissertation littéraire : une argumentation directe


"Ce que l'on conçoit bien s'énonce clairement

Et les mots pour le dire arrivent aisément"

Nicolas Boileau, "Art poétique"


Méthodologie : La dissertation littéraire (EAF, épreuves écrites : sujet 2)

Objet d’étude : convaincre, persuader, délibérer / l’essai, le dialogue, la délibération.


La dissertation littéraire est un "jugement argumenté et délibéré" (BO p. 81), un discours argumentatif, un essai littéraire (rédigé à la troisième personne du singulier).
Le sujet présenté sous la forme d’une question ou d’une citation d’auteur ou de critique littéraire soulève une problématique littéraire à partir d’un corpus de textes qui s’inscrit dans le cadre d’un des cinq objets d’étude du programme : la stratégie argumentative proposée par le candidat suit avec ordre et méthode une progression logique, claire et rigoureuse. Elle vise à entraîner l'adhésion du lecteur aux thèses qu'on présente successivement à son assentiment et doit aboutir à un discours composé d'une thèse, d'une antithèse et d'une synthèse.
La démonstration passe obligatoirement par l'analyse d'exemples littéraires : toute affirmation doit donc être vérifiée par un exemple littéraire (en l’absence d’exemple littéraire, le paragraphe est nul).


La dissertation littéraire relève de l’énonciation impersonnelle et de l’argumentation explicite. Le candidat s’adresse donc, dans une situation de discours distanciée, à la raison de son correcteur : il cherche à convaincre à l’aide d’une stratégie argumentative composée de deux ou trois thèses étayées par des arguments illustrés par des exemples littéraires. Cette démarche rationnelle et logique de démonstration organisée suivant un plan progressif rigoureux clairement précisé dans l’annonce de l’introduction et rappelé dans les introductions et conclusions partielles du devoir peut être complétée par une stratégie de « séduction » destinée à persuader.
Le raisonnement logique induit doit déboucher sur une synthèse : en classe de 2de la conclusion générale fait souvent office de synthèse mais en première le candidat peut essayer de développer cette troisième partie de son raisonnement .
La dissertation littéraire consiste donc en une démonstration qui progresse par la discussion objective d'éléments opposés ou complémentaires vers une conclusion. Ouvrant la voie à la délibération, elle met en œuvre différentes opérations intellectuelles : démontrer, convaincre, persuader, délibérer.


La dissertation est la synthèse de tous les types d’exercices qui supposent une démarche inductive et déductive à partir d’un référentiel littéraire. Elle met en œuvre l’esprit d’examen (cf. méthode cartésienne, p. ) et l’esprit critique : lecture analytique des textes (comment fonctionnent-ils ?) et dégagement de problématiques liées aux objets d’étude (pourquoi ?)

La question sur le corpus, par la problématique qu’elle soulève à partir des textes proposés, prépare à la dissertation littéraire, de même que tous les commentaires de textes et toutes les lectures qui permettent d’illustrer la problématique du sujet.

Tout discours qui vise à convaincre, persuader et inviter à délibérer à partir d’un corpus et de problématiques littéraires met en œuvre les qualités argumentatives de la dissertation littéraire.

A la différence d’une dissertation d’histoire, de philosophie ou d’économie, la dissertation littéraire s’appuie sur un référentiel littéraire et culturel destiné à témoigner de ses lectures mais surtout de sa capacité à en dégager des problématiques littéraires, d’où l’importance de la lecture de « classiques » de la littérature pour nourrir les paragraphes du devoir et de la lecture analytique pour dégager très vite des problématiques en lien avec les objets d’étude du programme sans dérives narratives, amalgames, paraphrases, contresens et toute autre forme de bavardage.


L'introduction présente le thème de l'objet d'étude, le sujet et sa problématique : elle sera rédigée au brouillon (de même que la conclusion) aussitôt que le plan détaillé aura été trouvé.


STRUCTURE DE LA DISSERTATION LITTERAIRE :


Exemple de sujet sous forme de citation (niveau 2de) :

"La vraie lecture commence quand on ne lit plus seulement pour se distraire et se fuir, mais pour se trouver."

Votre expérience de la lecture vous conduit-elle à souscrire à ce propos de Jean Guéhenno ?


Le sujet composé d’ une citation aussi courte que celle-ci sera entièrement relevé entre guillemets dans le cadre d’une phrase de présentation (Si la citation est longue, elle sera partiellement citée et commentée à partir des expressions-clés qui la composent).

La problématique du sujet soulevée dans une phrase au discours indirect à partir des mots ou expressions-clés du sujet qui l’expose permettra d’engager le débat : «La définition de Jean Ghéhenno semble induire deux façons de lire puisque selon lui il existerait « une vraie lecture ».

  1. Présentation de l’objet d’étude et du thème du sujet : la lecture entre fiction et réalité ?

  2. Présentation du sujet : citation et explication du sujet : « la vraie lecture … »

  3. Dégagement d’une problématique : existe-t-il une « vraie lecture » ?

  4. Annonce du parcours herméneutique (plan) * Eviter les séries d’interrogatives dans l’annonce du plan..

PLAN THEMATIQUE (analyse de la thèse) PLAN DIALECTIQUE (analyse critique de la thèse) :

I. « se distraire, se fuir » ? I. « La vraie lecture » selon J. Guéhenno

II. pour « se trouver » ? II. Qu’est-ce que la lecture ? Existe-t-il une « vraie lecture » ?


Le développement est une démonstration composée qui progresse au moyen de trois parties : thèse, antithèse, synthèse. Chacune de ces thèses est précédée d'une introduction partielle et terminées d’une conclusion partielle. Composée de deux ou trois sous-parties (ou paragraphes), elle permet d'examiner un aspect du sujet : le raisonnement de thèse en antithèse et en synthèse doit suivre une progression logique dont les étapes seront annoncées ou résumées, reformulées et enrichies (pour éviter les répétitions fastidieuses) dans chaque introduction et conclusion partielles pour permettre au lecteur de suivre le fil de l’analyse.

La thèse et l'antithèse ne sont pas systématiquement opposées : elles peuvent être complémentaires. Le raisonnement mis en œuvre dans chacune des deux thèses (thèse et antithèse) vise à convaincre et à persuader. Il ouvre la voie, à partir des conclusions partielles qui offrent un bilan et un élargissement destinés à faire rebondir le raisonnement, à une délibération en synthèse. Cette troisième partie du devoir correspond au cas le plus abouti de l'argumentation où la confrontation d'idées et de prises de position débouche sur une réponse ou un moyen terme.

La synthèse est la troisième partie du devoir où on délibère : on décide par un débat de la position à prendre, on pèse* le pour et le contre si le plan est dialectique pour dépasser les contradictions, ou on fait la somme des éléments réunis et on débouche parfois sur un autre aspect du sujet si le plan est analytique, thématique ou explicatif. On élargit la discussion dans la synthèse. Souvent la conclusion fait office de synthèse (surtout en seconde).

* rappel de l’étymologie commune de « peser » et « penser » : « pensare » en latin => d’où, « peser le pour et le contre » pour délibérer = « penser ».


Le plan : le plan adopté suivant le sujet proposé peut être dialectique s'il soulève le débat et se prête à la discussion, sinon il sera analytique : explicatif s'il suffit de commenter et d’illustrer la citation ou la proposition en suivant différentes orientations données par les mots-clés du sujet qu'on se contentera de commenter et d'illustrer successivement (c'est ce qui arrive le plus souvent quand le sujet est long), thématique si la proposition, la question ou la citation soulèvent plusieurs perspectives complémentaires qu'il convient d'examiner par ordre d'importance. Le plan le plus efficace dans tous les cas sera progressif.


Le paragraphe : chaque thèse sera composée d’au moins deux paragraphes.

Tout paragraphe sera impérativement argumentatif et démonstratif. Introduit par un argument en rapport direct avec la problématique induite par le sujet, illustré d’exemples littéraires expliqués et commentés (titres des œuvres soulignés et citations entre guillemets), il sera terminé par une conclusion destinée à rappeler les enjeux du devoir (cqfd). Les arguments des paragraphes et les exemples seront diversifiés.

Rappel : en l’absence de démonstration (vérification par l’exemple) le paragraphe sera nul


La conclusion : elle propose un bilan du parcours, une réponse à la question soulevée par la problématique du sujet, ou un moyen terme (une synthèse) qui permette de concilier les deux propositions de la thèse et de l'antithèse, ou une autre perspective selon laquelle envisager le sujet. Elle replace le sujet dans le cadre de l'objet d'étude étudié et propose un élargissement. * Travailler la reformulation des conclusions : enrichir le raisonnement au fil du devoir pour éviter les répétitions fastidieuses qui témoignent de la pauvreté linguistique, argumentative et culturelle du candidat.


1. Bilan du parcours ;

2. Réponse ou moyen terme :

se perdre pour « se trouver » (plan I) (« classique » : « un livre qui n’a jamais fini de dire ce qu’il a à dire » , Italo Calvino)

=> mise en cause de la lecture et du lecteur et ouverture sur une perspective plus large qui dépasserait les contradictions apparentes.

Existe-t-il une « vraie lecture » ? Remise en cause de la thèse et ouverture sur une perspective plus complexe (épistémologique) : définition de la lecture et du lecteur à partir de la dialectique : lecture passive/ active

=>mise en cause de la lecture et du lecteur et ouverture sur une problématique plus complexe qui s’appuierait sur la problématique précédente (accepter de se perdre pour « se trouver ») pour réfléchir sur les livres : « les meilleurs livres » , « un classique » . Existe-t-il de bons et de mauvais livres ? Une bonne et une mauvaise façon de lire ?

3. Ouverture (élargissement) :

Exemple : du réalisme à la subjectivité plus complexe du Nouveau roman et de l’art contemporain => LIRE pour ECRIRE : dépasser les opinions et les jugements > délibérer… * Eviter les interrogatives, le psittacisme et les citations « forcées » (hors de propos).

Une aventure d’écriture et de lecture : « je ne comprends pas comment on peut écrire une histoire déjà explorée », Marguerite Duras

« Les meilleurs livres sont ceux dont les lecteurs font eux-mêmes la moitié » , Voltaire


« La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie , la seule vie par conséquent réellement vécue, c’est la littérature», Marcel Proust, Le Temps retrouvé (La Recherche du temps perdu).


Ouvrir l’espace du jeu argumentatif, du « je » > « se trouver » par la lecture

difficulté de lecture ? … dépassement des difficultés : quand l’aventure d’écriture devient une aventure de lecture…


problématique : littérature : réalité /fiction ?


Paramètres proposés pour l’enrichissement des conclusions partielles et la synthèse de la conclusion générale qui ouvre la voie à la délibération : la dialectique lecture passive/ lecture active (cf. la définition de Voltaire) > exploration du réel (roman : réel concentré) : miroir…

« C’est la contradiction qui donne la vie en littérature », Balzac, Illusions perdues




Sujets de dissertations littéraires des EAF : 1ères ES Et S


2002 : objet d’étude convaincre, persuader, délibérer

Les textes littéraires et les formes d’argumentation souvent complexes qu’ils proposent vous paraissent-ils être un moyen efficace de convaincre et persuader ?

Vous répondrez à cette question en un développement composé, prenant appui sur les textes du corpus et sur ceux que vous avez lus et étudiés.

2003 : Le biographique

Pierre Loti affirme avoir « inventé », « ajouté », « arrangé », « changé les faits », pour les « besoins » de son livre. Peut-on dire que toute œuvre biographique appelle nécessairement cette façon de procéder ?

Vous répondrez en vous appuyant sur le texte qui vous est proposé, ceux que vous avez étudiés en classe et vos lectures personnelles.

2004 : Le théâtre : texte et représentation

Dans quelle mesure le costume de théâtre joue-t-il un rôle important dans la représentation d’une pièce et contribue-t-il à l’élaboration de son sens pour le spectateur ?

Vous répondrez à cette question en vous appuyant sur le corpus (textes et annexe), sur les textes que vous avez étudiés en classe, ceux que vous avez lus ainsi que sur les spectacles que vous avez pu voir.

2005 : La poésie

La rébellion contre l’héritage des poètes précédents est-elle indispensable à la création poétique ?

Vous répondrez en vous appuyant sur les textes qui vous sont proposés, ceux que vous avez étudiés en classe et vos lectures personnelles.

2006 : Convaincre, persuader, délibérer

« Malgré ses airs de conte fantastique, cette légende est vraie d’un bout à l’autre… », écrit Alphonse daudet dans La légende de l’homme à la cervelle d’or.

Vous vous demanderez pourquoi certains écrivains ont recours à la fiction pour transmettre des vérités ou des leçons.

Vous répondrez en vous appuyant sur le texte d’Alphonse Daudet et sur d’autres œuvres que vous connaissez.

2007 : Convaincre, persuader, délibérer

Dans quelle mesure la forme littéraire peut-elle rendre une argumentation plus efficace ?

Vous appuierez votre développement sur les textes du corpus, vos lectures personnelles et les œuvres étudiées en classe.

2008 : Le roman

En conclusion du roman de Guy de Maupassant, Une Vie, Rosalie déclare : « La vie voyez-vous, ça n'est jamais si bon ou si mauvais qu'on croit ». Pensez-vous qu'un roman doit ouvrir les yeux du lecteur sur la vie ou bien au contraire permettre d'échapper à la réalité ? Vous présenterez votre argumentation en prenant appui sur les extraits proposés et sur les œuvres que vous avez pu étudier ou lire.

2009 : Le théâtre

Dans quelle mesure le spectateur est-il partie prenante de la représentation théâtrale ?

Vous répondrez en faisant référence au corpus, aux œuvres étudiées en classe, et à celles que vous avez vues ou lues.

2010 : L'argumentation - convaincre, persuader, délibérer

En quoi l'évocation d'un monde très éloigné du sien permet-elle de faire réfléchir le lecteur sur la réalité qui l'entoure ?Vous développerez votre argumentation en vous appuyant sur les textes du corpus, les œuvres que vous avez étudiées en classe et celles que vous avez lues.


Le « pessimisme gai » de Voltaire, « le mondain » polémiste

Un mouvement culturel européen : "Les Lumières"

L'argumentation : Littérature et altérité, de l' « Humanisme » aux « Lumières »

"L'autre, un sujet en question(s)" : visions de l'homme et du monde

Convaincre, persuader, délibérer ? l’apologue et le conte philosophique

Candide ou l’Optimisme, Voltaire (1758-1759)

en UTOPIE… ?

Dossier-enquête sur la place du sujet dans l’histoire de la communication et des représentations : « l’autre un sujet en question » ou les représentations du bonheur.

POESIE* ET DECHIFFREMENT DU MONDE : une enquête « générationnelle » sur l’engagement de l’écrivain et sa quête des « clés du bonheur »

* au sens étymologique de création


La quête de bonheur de Voltaire, du poème « Le Mondain » en 1836 à la fin de Candide en 1858-59 et à la philosophie du « bon Bramin » (p. 435) en 1761 se veut une quête raisonnable, modeste, sa conception du bonheur plus matérielle, plus concrète, plus pragmatique que celle des philosophes optimistes (Leibniz et Rousseau) : « Il faut cultiver notre jardin. », telle est la leçon de la fin de Candide.

* cf.l’hédonisme de Voltaire.


Les idéaux des « lumières » (dans le prolongement de l’Humanisme de la Renaissance) : PAIX, PROGRES, TRAVAIL ET ESPRIT D’ENTREPRISE, BONHEUR, TOLERANCE, LIBERTE, EGALITE… HUMANITE

Littérature et engagement : les engagements de Voltaire dans Candide ou l’Optimisme

La thèse pessimiste (« pessimisme gai ») est opposée à l’optimisme de Rousseau et de Leibniz ; l’expérience de la vie ( métaphore de l’ « engano » ) est préférable au savoir livresque de Pangloss ; la démonstration de la violence et de la méchanceté des hommes (orgueil nobiliaire, guerre, discrimination : esclavage et racisme, etc.) permet de dénoncer les injustices et les atteintes aux liberté (Cf. Déclaration des Droits de l’homme, 1789).

Mais la leçon à retirer de ce conte philosophique au bout du compte est-elle une invitation au repli sur soi ? (cf. chapitre final : Il faut cultiver notre jardin”).


Lecture intégrale : Candide ou l’Optimisme, Voltaire (1758-59)


  1. Chapitre 1 : dès l’incipit apparaît la critique de l’optimisme (du début à « la meilleure des baronnes possibles. » )

  2. Chapitre 3 : la critique de la guerre (« Rien n’était si beau, si leste […] à côté de bras et de jambes coupés. » )

3. Chapitre 6 : la critique de l’autodafé (tout le chapitre)

  1. Chapitre 19 : la critique du racisme (« En approchant de la ville […] et en pleurant, il entra dans Surinam » ; p. 100)

  2. Chapitre 30 : la leçon finale (« Candide, en retournant dans sa métairie […] mais il faut cultiver notre jardin. » )


La séquence a été centrée sur les valeurs et les idéaux des Lumières, le combat pour les droits de l’homme sur le thème de « l’autre, un sujet en question » en complément de l’Humanisme et en perspective croisée avec l’objet d’étude : l'argumentation.


La lecture intégrale d’un conte philosophique, Candide de Voltaire (1756-1759) et la lecture cursive de textes complémentaires, notamment Histoire d’un bon Bramin (1761) visent à définir les caractéristiques et les enjeux du siècle des « Lumières » en France, à approfondir la notion de mouvement littéraire et culturel et à illustrer deux notions carrefours à la croisée des genres et des registres : l’éloge et le blâme en perspective croisée avec l’argumentation (convaincre, persuader, délibérer : l’essai, le dialogue, l’apologue).


L’apologue : quelle est la limite entre le conte philosophique court et l’apologue ? (cf. dossier : définitions génériques et typologiques de l’objet d’étude).

1. « apologus » (1490) : petite fable visant essentiellement à illustrer une leçon de morale ;

2. Selon l’Encyclopédie au XVIIIème siècle : fable morale ou espèce de fiction dont le but est de corriger les mœurs des hommes.

3. Selon l’Encyclopaedia Universalis, il semblerait que le mot apologue soit préféré à celui de fable lorsqu’on veut mettre l’accent sur la dimension pédagogique du récit, sur sa finalité morale.


La satire (fiche, p. 373) correspond à une attitude critique. Elle porte un regard qui prend ses distances avec son sujet pour en montrer les aspects négatifs, souvent par des procédés ironiques : des procédés comme la comparaison, l’amplification, l’accumulation et l’exagération contribuent au dénigrement, à la dévalorisation systématique opérée à l’aide d’un vocabulaire le plus souvent dépréciatif ou exagérément mélioratif (« Rien n’était si beau, si leste, si brillant, si bien ordonné que les deux armées », Candide, III ; « bel autodafé », Candide, VI).

La stratégie du détour du conte permet à Voltaire de défendre implicitement son déisme* (il défend la « religion naturelle », « celle qui n’enseignerait que l’adoration de Dieu, la justice, la tolérance et l’humanité » contre la religion « artificielle ») et de manifester indirectement son anticléricalisme et son refus des formalismes dogmatiques (il attaque la religion « artificielle » : les églises, les prêtres, les fanatiques…) [*« les meilleurs livres sont ceux dont les lecteurs font eux-mêmes la moitié »].

*Lire le texte : « Prière à Dieu » , extrait du Traité sur la tolérance, 1763 , p. 102


PROBLEMATIQUE : l’étude des idéaux des « Lumières » ; la littérature engagée des écrivains du XVIIIème siècle en France.

Une écriture à visée politique, une littérature polémique et didactique : critique (contestation de l’autorité et de la tradition) et proposition de solutions (les idées de progrès et de paix indissociables de celles de bonheur : les utopies). Le rationalisme : ses avantages (littérature et engagement) et ses limites (l’« instrumentalisation » de la littérature).


« L’AUTRE, UN SUJET EN QUESTION » :

Chapitre I : la critique de l’aristocratie et de l’optimisme de Leibniz ;

Chapitre III : la critique de la guerre (cf. articles : « Guerre » du Dictionnaire philosophique, Voltaire, 1764 ; « Paix » de L’Encyclopédie , 1752-1772) ;

Chapitre VI : la critique du fanatisme et de la pratique de l’autodafé (du « Poème sur le désastre de Lisbonne », 1756 à Histoire d’un bon bramin, 1761, p. 435 . Rappel : Le Chevalier de La Barre âgé de 19 ans fut condamné pour impiété et décapité en 1766, le Dictionnaire philosophique de Voltaire est brûlé avec son corps).

Chapitre XIX : la critique du racisme (manuel de français, p. 100)


La philosophie de Leibniz est porteuse selon Voltaire d’une idéologie suspecte, puisqu’elle justifie toutes les injustices et les horreurs de ce monde, dont les guerres (chapitre III) , les tremblements de terre et les autodafés de l’Inquisition (chapitre VI) , l’esclavage et le racisme (chapitre XIX) . Chaque chapitre de Candide peut être lu comme une leçon de réalisme et de pragmatisme (en ce sens chacun fonctionnant un peu comme un apologue invite à une double lecture suivant la stratégie du détour : au premier degré comme un conte fantaisiste et divertissant qui relève du genre narratif, de l’oralité et du merveilleux du conte, au second degré comme un conte philosophique et satirique à visée argumentative destiné à dénoncer par l’ironie des injustices et des abus.

I. Une lecture naïve (1er degré) : définition typologique du conte (registres comiques et merveilleux);

II. Un conte philosophique à visée argumentative : les armes de l’ironie et de la satire ; les valeurs des « Lumières » ;

III. L’évolution du héros : est-il vecteur d’un énoncé didactique sur le monde ?


Complément de dossier :

un rappel sur l’apologue et les valeurs des « Lumières » en fin d’article ;

Les limites de la littérature engagée : le dogmatisme de Voltaire ou son évolution entre 1756 et 1761 : de Candide à Histoire d’un bon Bramin ;

Les schémas narratifs et actantiels (lecture intégrale) : l’évolution du personnage de Candide ;

L’hédonisme de Voltaire.

Les conditions de la conception de Candide ou L’optimisme



Le héros progresse-t-il ? (un réel parcours initiatique ?)


Cf. Le schéma narratif du parcours initiatique du héros : les voyages de Candide ((thème de l’« engano » : métaphore de l’embarquement) .


Peut-on trouver quelque part un lieu qui échappe au malheur ?


Schéma narratif du parcours initiatique du héros : les voyages de Candide ((thème de l’« engano » : métaphore de l’embarquement) . Un récit à tiroir avec des mises en abymes comme l’ « Histoire de Cunégonde » au chapitre VIII et l’ « Histoire de la vieille » aux chapitres XI et XII.

Le héros « embarqué »* se transforme au fil de ses découvertes et de ses rencontres.

* la métaphore de l’embarquement (« engano » : l’embarquement / « desengano » : la vie n’est pas un songe : chassé de ce qu’il croit le paradis familial, il découvre les horreurs du monde : la guerre, les tremblements de terre, l’Inquisition et les autodafés, les naufrages, la mort de son maître, etc.)


I. Westphalie (Frédéric II de Prusse) - II. Chez les Bulgares – III. En Hollande – V. En mer vers Lisbonne – VI. A Lisbonne – X. en route vers Cadix – En mer vers le Parguay – XIII. A Buenos Aires – XIV. Chez les Jésuites du Paraguay – XVI. Chez les anthropophages Oreillons – XVII. En Eldorado – XIX. A Surinam (Guyane) – XX. En mer vers la France – XXII. A Bordeaux, puis à Paris – XXIII. Vers l’Angleterre, côte de Portsmouth, puis vers Venise – XXIV. Venise – XXVII. En mer, vers Constantinople – XXIX. Sur les rives de la Propontide (= mer de Marmarà, à Constantinople)


Candide progresse : au chapitre III il fuit, au chapitre VI il subit (« fessé en cadence » ), au chapitre XIX il pleure et commence à remettre en cause l’optimisme de son maître (« O Pangloss ! s’écria Candide, tu n’avais pas deviné cette abomination ; c’en est fait, il faudra à la fin que je renonce à ton optimisme. Qu’est-ce qu’optimisme ? disait Cacambo. Hélas ! dit Candide, c’est la rage de soutenir que tout est bien quand on est mal : et il versait des larmes en regardant son nègre ; et en pleurant, il entra dans Surinam. »), mais ce n’est qu’au chapitre final que son apprentissage est terminé : « il faut cultiver notre jardin » .


C’est la confrontation au mal qui le fait évoluer. La démonstration de Voltaire est éloquente par sa redondance pédagogique. Elle s’oppose aux théories optimistes de Pangloss, et en arrière-plan, de Leibniz et de Rousseau. Le mal existe, il faut l’accepter et perdre son innocence pour affronter les épreuves de la vie en toute connaissance de cause. En ce sens, on peut dire que Voltaire fait œuvre de pédagogue par le biais de la stratégie du détour du conte philosophique imaginée en contrepoint de la pédagogie adaptée à l’enfant que Rousseau proposera quatre ans plus tard dans son essai : Emile ou de l’Education en 1762.

Pour l’un, l’enfant (un sot, un niais, un nigaud comme « Candide ») est en danger dans la société dès hommes et il lui faut mûrir au plus vite pour apprendre à se défendre et à s’arranger des malheurs du monde sans chercher à comprendre autre chose que son propre intérêt pour assurer sa survie, et si possible sa sécurité et son confort personnel, si possible aussi celle de ses proches comme Candide le fait dans sa métairie au chapitre XXX : « Il faut cultiver notre jardin ». Pour l’autre qui ouvre la voie à la pédagogie moderne, l’enfance est un état privilégié et l’innocence de l’enfant doit être protégée, l’enfant guidé dans son évolution par des maîtres attentifs et bienveillants. Lequel des deux a raison : Rousseau ou Voltaire ? « C’est de la faute à Rousseau, c’est de la faute à Voltaire », lançait le Gavroche des Misérables de Victor Hugo un siècle plus tard en tombant sous les barricades…

C’est l’éternel débat entre les idéalistes qui croient au bien et en la possibilité d’un monde meilleur et les opportunistes prétendument réalistes qui s’arrangent de ce qui existe et acceptent les compromis, quitte à jouer la politique de l’autruche comme Candide ou à se salir les mains, comme Créon dans Antigone. Voltaire, le mondain pamphlétaire, s’oppose à Rousseau, le philosophe misanthrope.

La jeunesse généreuse en quête d’absolu comme celle d’Antigone ou d’Hamlet a du mal à se satisfaire du cynisme et du pragmatisme du pessimiste Voltaire.


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L’HEDONISME et LE BIEN-ETRE MATERIEL : Voltaire, en antithèse du jansénisme et des thèses de Rousseau sur le mythe du « bon sauvage », fait une apologie du luxe dans ce poème et dans l’article « luxe » de son Dictionnaire philosophique en 1764 pour défendre le progrès des « Lumières » et les commodités de la civilisation.


Poème : « Le Mondain » composé par Voltaire en 1736 (« Le paradis terrestre est où je suis »).


« Regrettera qui veut le bon vieux temps,

Et l’âge d’or, et le règne d’Astrée,

Et les beaux jours de Saturne et de Rhée,

Et le jardin de nos premiers parents ;

Moi je rends grâce à la nature sage

Qui, pour mon bien, m’a fait naître en cet âge

Tant décrié par nos pauvres docteurs :

Ce temps profane est tout fait pour mes mœurs.

J’aime le luxe, et même la mollesse,

Tous les plaisirs, les arts de toute espèce,

La propreté, le goût, les ornements :

Tout honnête homme a de tels sentiments.

Il est bien doux pour mon cœur très immonde

De voir ici l’abondance à la ronde,

Mère des arts et des heureux travaux,

Nous apporter, de sa source féconde,

Et des besoins et des plaisirs nouveaux.

L’or de la terre et les trésors de l’onde,

Leurs habitants et les peuples de l’air,

Tout sert au luxe, aux plaisirs de ce monde.

O le bon temps que ce siècle de fer !

Le superflu, chose très nécessaire.

Voyez-vous par ces agiles vaisseaux

Qui, du Texel, de Londres, de Bordeaux,

S’en vont chercher, par un heureux échange,

De nouveaux biens, nés aux sources du Gange,

Tandis qu’au loin, vainqueurs des musulmans,

Nos vins de France enivrent les sultans ?

Quand la nature était dans son enfance,

Nos bons aïeux vivaient dans l’ignorance,

Ne connaissant ni le tien ni le mien.

Qu’auraient-ils bien pu connaître ? Ils n’avaient rien ;

Ils étaient nus, et c’est chose très claire

Que qui n’a rien n’a nul partage à faire.

Sobres étaient. Ah ! je le crois encor :

Martialo n’est point du siècle d’or.

D’un bon vin frai ou la mousse ou la sève

Ne gratta point le triste gosier d’Eve ;

La soie et l’or ne brillaient point chez eux.

Admirez-vous pour cela nos aÎeux ?

Il leur manquait l’industrie et l’aisance :

Est-ce vertu ? C’était pure ignorance.

Quel idiot, s’il avait eu pour lors

Quelque bon lit, aurait couché dehors ? […]

Le paradis terrestre est où je suis. »


Cf. L’article « luxe » du Dictionnaire philosophique (surnommé le « portatif »), 1864


Le solide matérialisme de Voltaire et son sens de la propriété s’opposent aux « rêveries » de Rousseau et à ses théories exposées dans le Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes (1755), Rousseau pour qui « la propriété c’est du vol » : on peut donc voir dans la réplique finale de Candide à Pangloss : « Cela est bien dit, répondit Candide, mais il faut cultiver notre jardin », une attaque des philosophes, Leibniz, Wolf et Rousseau (cf. la réponse de Voltaire à l’essai de Rousseau en 1755 : « J’ai reçu, monsieur, votre nouveau livre contre le genre humain ; je vous en remercie. […] il prend envie de marcher à quatre pattes quand on lit votre ouvrage » ).

Voltaire se méfie des marchands d’illusion, du fanatisme et de la superstition et sa philosophie hédoniste et pragmatique reste la même du « Mondain » en 1836 (« Le paradis terrestre est où je suis ») à Candide en 1758-59. Son bonheur, le monde idéal, il préfère le construire ; c’est pourquoi même si lui aussi imagine « un monde à l’envers » suivant la définition de l’utopie avec le « pays d’Eldorado » aux chapitres 17 et 18 de Candide, son héros qui a perdu le paradis de Tunder-ten-tronck renonce aux illusions de la jeunesse pour se contenter d’un bonheur à sa mesure dans sa modeste métairie : « Il faut cultiver notre jardin ». Il est vain de chercher l’Eldorado sur terre ou d’attendre le paradis dans un ailleurs promis par la religion. L’humanité ne peut attendre, elle doit se retrousser les manches et réaliser, grâce à ses efforts, le bonheur limité dont elle est capable. L’épilogue du conte philosophique donne une leçon de pragmatisme. L’expression devenue proverbiale ( « Il faut cultiver notre jardin » ) invite à une restriction des ambitions symbolisée par le repli sur l’espace restreint de la métairie. L’homme doit se contenter de ce qu’il a.


Les combats de Voltaire sont donc destinés à construire le monde « hic et nunc » (ici et maintenant) suivant la formule de Nietzsche. Le polémiste prend sa « plume pour une épée » selon l’expression de Sartre utilisant l’ironie du conte philosophique comme une arme pour dénoncer l’optimisme de Leibniz avec le leitmotiv « tout est bien dans le meilleur des mondes », l’ancien régime dès l’incipit, la guerre aux chapitres second et III, le fanatisme religieux avec notamment la pratique des autodafés au chapitre VI, l’esclavage et le racisme au chapitre XIX.


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Les conditions de la conception de Candide ou L’optimisme , Voltaire (1758-59 : un an de gestation)


Rédaction de Candide à Genève durant l’année 1758, parution à Genève et à Paris, sans nom d’auteur ni indication d’origine, en janvier 1759 : succès immédiat de son auteur aussitôt reconnu. La même année, l’ouvrage fut traduit en Italie et en Angleterre. Mais les autorités politiques et religieuses tentèrent d’en freiner, inutilement, la diffusion : l’œuvre est saisie à Paris, interdite à Genève et à Rome (en 1762).

Voltaire a composé Candide (30 chapitres) dans sa retraite des Délices à Ferney (à la frontière suisse). Voltaire a 64 ans : il cultive son « jardin » . L’optimisme du « Mondain » (1736) s’est dissipé : son expérience malheureuse de conseiller de Frédéric II, la guerre qui a repris au printemps 1756 et embrase l’Europe, les tremblements de terre de Lisbonne de 1755 (40 000 morts) dessinent le contexte biographique et historique de l’écriture de ce conte charnière. Il est écrit durant l’année 1758 et paraît à Genève et à Paris, sans nom d’auteur ni indication d’origine, en janvier 1759. la gestation s’est étalée sur un an. Le succès fut immédiat et immense, et son auteur aussitôt reconnu. La même année, son ouvrage fut traduit en Italie et en Angleterre. Mais les autorités politiques et religieuses tentèrent d’en freiner, inutilement, la diffusion : l’œuvre est saisie à Paris, interdite à Genève et à Rome (en 1762).



Contexte biographique et historique d’écriture de l’écriture de ce conte charnière :

Le tremblement de terre de Lisbonne de 1755 : 40 000 morts : Poème sur le désastre de Lisbonne, 1756 (chapitre VI)

L’expérience malheureuse de conseiller de Frédéric II

La guerre qui a repris au printemps 1756

L’exécution de l’amiral Byng : 1er mars 1757 (chapitre XXIII)


Les colères de Voltaire : les circonstances d’écriture de ce conte qui relève de la littérature engagée ou polémique. L’écrivain polémiste, prenant sa « plume pour une épée » suivant l’expression de Sartre, utilise l’ironie comme une arme.


1755 : 2 tremblements de terre à Lisbonne (30 000 morts).

En 1755, un violent séisme fait 30 000 morts à Lisbonne. Cet événement conduit Voltaire à s’interroger sur la Providence, mais surtout sur la philosophie déterministe qui affirme avec optimisme que tout ce qui s’est passé devait se passer ainsi. L’écrivain exprime sa révolte dans un poème dont le ton change du « Mondain » : « Poème sur le désastre de Lisbonne », 1756. Il y déplore un tel événement en exprimant une sincère compassion pour les victimes et rejette les fausses justifications d’une philosophie trompeuse.

Parution la même année du Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes de Rousseau.


1756 – 1763 : la guerre de 7 ans: coalition composée de la France, l’Autriche, la Russie, la Saxe, la Suède et l’Espagne contre celle formée par l’Angleterre, la Prusse et le Hanovre.


« Poème sur le désastre de Lisbonne », 1756


« Ô malheureux mortels ! ô terre déplorable !

Ô de tous les mortels assemblage effroyable !

D’inutiles douleurs éternel entretien !

Philosophes trompés qui criez : « Tout est bien ! » ;

Accourez, contemplez ces ruines affreuses,

Ces débris, ces lambeaux, ces cendres malheureuses,

Ces femmes, ces enfants l’un sur l’autre entassés,

Sous ces marbres rompus ces membres dispersés ;

Cent mille infortunés que la terre dévore,

Qui, sanglants, déchirés, et palpitants encore,

Enterrés sous leurs toits, terminent sans secours

Dans l’horreur des tourments leurs lamentables jours !

Aux cris demi-formés de leurs voix expirantes,

Au spectacle effrayant de leurs cendres fumantes,

Direz-vous : « C’est l’effet des éternelles lois

Qui d’un Dieu libre et bon nécessitent le choix » ?

Direz-vous, en voyant cet amas de victimes :

« Dieu s’est vengé, leur mort est le prix de leurs crimes » ?

Quel crime, quelle faute ont commis ces enfants

Sur le sein maternel écrasés et sanglants ?

Lisbonne, qui n’est plus, eut-elle plus de vices

Que Londres, que Paris, plongés dans les délices ?

Lisbonne est abîmée, et l’on danse à Paris

Tranquilles spectateurs, intrépides esprits,

De vos frères mourants contemplant les naufrages,

Vous recherchez en paix les causes des orages :

Mais du sort ennemi quand vous sentez les coups,

Devenus plus humains, vous pleurez comme nous.

Croyez-moi, quand la terre entrouvre ses abîmes,

Ma plainte est innocente et mes cris légitimes.

Partout environnés des cruautés du sort,

Des fureurs des méchants, des pièges de la mort,

De tous les éléments éprouvant les atteintes,

Compagnons de nos maux, permettez-nous les plaintes.

C’est l’orgueil, dites-vous, l’orgueil séditieux,

Qui prétend qu’étant mal, nous pouvions être mieux.[…] »


La critique de l’optimisme : elle s’étend à une critique de la philosophie en général (plus particulièrement celles de Leibniz, Wolf et Rousseau) et de la métaphysique qui ne proposent pas de solutions immédiates : aussi, l’ironie de Voltaire n’épargne-t-elle pas Candide , disciple de Pangloss au chapitre III de Candide : « Candide, qui tremblait comme un philosophe, se cacha du mieux qu’il put pendant cette boucherie héroïque […], il prit le parti d’aller raisonner ailleurs des effets et des causes ». Mais ce n’est qu’au chapitre XIX de son parcours initiatique que l’élève se rebelle enfin contre le maître pour remettre en cause son optimisme : « O Pangloss ! s’écria Candide, tu n’avais pas deviné cette abomination ; c’en est fait, il faudra à la fin que je renonce à ton optimisme. Qu’est-ce qu’optimisme ? disait Cacambo. Hélas ! dit Candide, c’est la rage de soutenir que tout est bien quand on est mal : et il versait des larmes en regardant son nègre ; et en pleurant, il entra dans Surinam. », Candide, chapitre XIX


Rappel :

La philosophie de Leibniz est porteuse selon Voltaire d’une idéologie suspecte, puisqu’elle justifie toutes les injustices et les horreurs de ce monde, dont les guerres (chapitre III) , les tremblements de terre et les autodafés de l’Inquisition (chapitre VI) , l’esclavage et le racisme (chapitre XIX) . Chaque chapitre de Candide peut être lu comme une leçon de réalisme et de pragmatisme (en ce sens chacun fonctionnant un peu comme un apologue invite à une double lecture suivant la stratégie du détour : au premier degré comme un conte fantaisiste et divertissant qui relève du genre narratif, de l’oralité et du merveilleux du conte, au second degré comme un conte philosophique et satirique à visée argumentative destiné à dénoncer par l’ironie des injustices et des abus.

I. Une lecture naïve (1er degré) : définition typologique du conte (registres comiques et merveilleux);

II. Un conte philosophique à visée argumentative : les armes de l’ironie et de la satire ; les valeurs des « Lumières » ;

III. L’évolution du héros : est-il vecteur d’un énoncé didactique sur le monde ?


La leçon ou la philosophie de Candide ou l’optimisme : la sagesse ou la philosophie de Voltaire de Candide ou l’Optimisme (1758-1759)

Il faut trouver des remèdes au mal qui règne dans le monde.

se taire : tout a été dit, montré, démontré ; les bavardages métaphysiques ne règlent pas les problèmes, mieux vaut agir (Pangloss et Candide ne sont-ils pas condamnés par l’Inquisition au chapitre VI, l’un pour avoir trop parlé, l’autre pour avoir écouté ?), c’est pourquoi le jeune héros invite en fin de parcours son précepteur à se taire.

travailler : « le travail éloigne de nous trois grands maux : l’ennui, le vice et le besoin. »

« Il faut cultiver notre jardin » : injonction allégorique à prendre au sens figuré de : « se cultiver, fertiliser le monde » (métaphore), agir au lieu de perdre son temps en vains commentaires (et non au sens propre de se replier égoïstement sur soi).

Extrait étudié au chapitre XXX : « Candide, en retournant dans sa métairie […] mais il faut cultiver notre jardin ».

(une analyse plus développée de cet extrait sera proposée après celles des chapitres I, III, VI et XIX)


Les attaques (ou les haines) de Voltaire [cf. les limites de la littérature engagée et du « dogmatisme » de Voltaire] :

Contre la théorie de Leibniz : les désastres contemporains (naufrages, tremblements de terre) montrent l’aberration d’une vision optimiste ( « tout est bien dans le meilleur des mondes » );

Contre la théorie de Wolf : il n’y a pas d’effet sans cause ;

Contre l’Eglise et l’intolérance, le fanatisme religieux, la superstition et l’ignorance ( « l’infâme » ) : l’autodafé de Lisbonne condamne au feu des personnes accusées de crimes mineurs (cf. chapitre VI de Candide). Voltaire est anticlérical, mais il n’est pas athée, il est déiste : il croit en Dieu, auteur du monde (« horloger » ) ; il combat le fanatisme des Européens qui veulent imposer leur religion aux habitants des contrées étrangères par tous les moyens, même les violences physiques (cf. Montaigne, les Essais : « Des Coches », « Des Cannibales », XVIème siècle) ;

Contre la guerre source d’horreur, de cruauté, d’absurdité : les Bulgares affrontent les Abares au chapitre III de Candide sans que personne, dans les deux camps sache pourquoi ; la France et l’Angleterre sont en guerre « pour quelques arpents de neige vers le Canada » au chapitre 23 ; (cf. l’article « Guerre » du Dictionnaire philosophique, 1764) ;

Contre l’esclavage et le racisme : le nègre de Surinam est plus maltraité qu’un animal (chapitre XIX).

Contre la monarchie de droit divin et la noblesse qui est selon Voltaire une classe en déclin (chap.I)

Contre la bêtise et les préjugés : l’ignorance et le pédantisme de Pangloss sont stigmatisés dans Candide dont les théories ne résistent pas à l’épreuve des faits. C’est un beau-parleur, mais il n’agit pas. Voltaire prône l’action et le travail. Candide est le récit de la progression du héros : contaminé par l’éducation qu’il a reçue de son maître, il lui faudra s’en affranchir pour la rejeter définitivement au chapitre XXX, à la fin de son cycle d’apprentissage.


Combat de Voltaire contre les théories de Leibniz incarnées par Pangloss, contre la bêtise et les préjugés : l’ignorance et le pédantisme de Pangloss dont les théories ne résistent pas à l’épreuve des faits sont stigmatisés dans Candide. C’est un beau-parleur (il parle trop, cf. VI) , mais il n’agit pas. Voltaire prône l’action et le travail. Candide est le récit de la progression du héros contaminé par l’éducation qu’il a reçue de son maître dont il rejettera définitivement les discours au chapitre XXX, à la fin de son cycle d’apprentissage.

Pangloss n’évolue pas malgré ses malheurs : la vie ne lui apprend rien, aucune sagesse, à la différence de Candide. Phraseur, pédagogue dangereux, il met son élève en danger et reste en décalage par rapport aux événements. Fausseté des théories de Pangloss, 33 – 34 – 39 : le mal indispensable

Raisonnements ridicules et pernicieux (spécieux) / Jacques : adjuvant, l’inverse du bavard qui ne se paie pas de discours creux mais travaille et fait le bien (théorie pessimiste de l’homme = loup (p. 29) inspirée de Hobbes.


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Candide ou l'Optimisme, Voltaire (1758-59)


I - La "poétique" du texte : un conte

L'ENONCIATION - LA NARRATION


Les étapes de la narration : la construction du récit, le rythme de la narration
Les schémas narratif et actantiel : http://tempoeroman.blogspot.com

Les registres : la dialectique du sublime et du grotesque => L'IRONIE
(rappel des registres : épidictique, comique, pathétique, tragique, ironique, polémique, satirique...)
Les registres et les points de vue : http://tempoestyle.blogspot.com


'"J'ai longtemps pris ma plume pour une épée", Sartre, Les Mots


VISIONS DE L'HOMME ET DU MONDE

"Le style, c'est l'homme même", Buffon

"Mon nom, je le commence et vous finissez le vôtre"


II. La "critique" : un conte philosophique

Candide, héros ou personnage ?

Le héros-personnage est-il forcément le vecteur d'un énoncé didactique sur le monde ?

L'itinéraire du héros-personnage correspond-il forcément à celui de l'écrivain ?


FICHE AUTEUR à compléter...





Candide, Voltaire : chapitres I et XXX


"En toute chose, il faut considérer la fin", La Fontaine


Notes de cours à compléter et synthèse personnelle à rédiger pour chaque chapitre...


Chapitre I : la définition du conte philosophique et les effets d’annonce de l’incipit


Effets d’annonce de l’incipit : le conte philosophique et sa visée argumentative


I. 1er axe : le conte philosophique, un genre narratif (définition typologique : genre narratif, tradition orale ; registres : comique et merveilleux)


Une narration fantaisiste destinée à divertir : une narration amusante publiée anonymement.

  • titre et sous-titres ; addition de 1761 : invention du docteur Ralph, soi-disant traducteur du conte) ; archaïsme et effets de suspens inspirés de Rabelais (« Comment un moine de Seuillé sauva le clos de l’abbaye du sac des ennemis » , Gargantua)

  • un conte : oralité (présence d’un narrateur qui modalise le récit et contribue à l’effet de réel : « je crois » ;

  • la situation initiale d’une narration avec l’alternance de passé simple et d’imparfait avec la présentation du cadre spatio-temporel et des personnages principaux du récit (« Il y avait en Vesphalie »);

  • la naïveté du jeune héros comme dans la plupart des contes initiatiques (avec une histoire d’amour qui se profile au sixième paragraphe : « Candide écoutait attentivement, et croyait innocemment : car il trouvait mademoiselle Cunégonde extrêmement belle ») ;

  • présentation rapide et fantaisiste des personnages caricaturaux : une narration vive et enlevée ; un registre comique : Candide est un simple d’esprit ; Pangloss un bavard incompressible et un pédant aux théories ridicules (la satire) ; le baron, un seigneur lourd et prétentieux ridiculisé par son nom (allitération de dentales);

  • comique de mots : « Pangloss » (pan : tout ; gloss- parole) est un bavard et un pédant ; mot-valise : « Thunder-ten-tronckh » (« thunder » : tonnerre); « métaphysico-théologo-cosmolo-nigologie » [ cf. chapitre II « Valdberghoff-trabk-dikdorff » : mot inventé à consonance allemande ; wald : forêt, Berg : montagne, Hof : cour ; Trabkf : gageure dérisoire ; Dick : épais ; Dorf : village.]

  • mélange de réalité (« Vestphalie » en référence aux guerres franco-prussiennes) et d’imaginaire (« Thunder-ten-tronckh » : un château imaginaire ; « métaphysico-théologo-cosmolo-nigologie » : une discipline inventée de toutes pièces dans une intention parodique)

  • alternance des registres : comique/sérieux (cf. l’ironie *)

  • décalages * : jeux d’oppositions (antithèses et antiphrases), de disproportion (hyperboles, accumulations : par exemple le poids de la baronne) et d’effets de rupture : paradoxes, incohérences : fausses logiques ou logiques aberrantes.

« Monsieur le baron était un des plus puissants seigneurs de la Vestphalie, car son château avait une porte et des fenêtres » ; « Madame la baronne, qui pesait environ trois cent cinquante livres, s’attirait par là une très grande considération ».


* Ces effets peuvent être constatés au cours d’une première lecture (1er axe), ils seront interprétés au cours d’une seconde lecture, plus avertie sur les enjeux du conte philosphique (2ème axe).


II. 2ème axe : le conte philosophique, un genre didactique (définition générique de l’apologue)


Les effets d’annonce de l’incipit : le conte philosophique et sa visée argumentative (stratégie du détour : dimension ludique et critique de l’apologue qui suppose une double lecture. Il cherche à divertir mais surtout à convaincre, et à persuader avec les armes de la satire et de l’ironie).

Le conte appartient à la tradition orale, ce qui suppose la recherche de la simplicité, de la précision et de la concision par opposition à l’éloquence. S’il y a emphase et effets rhétoriques (hyperbole, énumérations, rythme progressif), c’est dans une intention parodique.

Effets de ruptures et de contrastes. 2 armes : la satire et l’ironie.


La satire de l’optimisme de Pangloss caricature la philosophie de Leibniz (leitmotiv du conte) : le terme « optimisme » vient de « optimus » , le superlatif latin de bonus (bon) qui signifie : « le meilleur ». C’est une disposition qui consiste à voir le bon côté des choses malgré les apparences défavorables. Au XVIIIème siècle, ce terme n’est employé qu’en référence à la philosophie : « tout est bien ». L’optimisme religieux réside dans la bonté de Dieu et la confiance en la Providence. La doctrine de Leibniz considère que Dieu étant bon n’a pu créer un monde mauvais, donc le bien l’emporte sur le mal. La Providence gouverne le monde au mieux des intérêts de tous et de chacun : c’est la théorie de « meilleur des mondes possibles ». Pourtant le mal existe … Pour Leibniz, il est soit punition, soit épreuve. Voltaire, profondément marqué par le tremblement de terre de Lisbonne qui a provoqué 30 000 morts en 1755, s’oppose violemment à cette théorie : il se prétend un « pessimiste gai » (par opposition à Rousseau, « optimiste triste » ) ;


La satire de la noblesse : le baron est un seigneur lourd et prétentieux : « Thunder-ten-tronckh » (« thunder » : tonnerre ; d’où le baron est un tyran, un Zeus domestique ridiculisé par son nom) qui préfère faire de Candide un enfant illégitime plutôt que de s’exposer à une mésalliance : la sœur du baron, mère de Candide n’a pas épousé le père du héros, « un bon et honnête gentilhomme […] parce qu’il n’avait pu prouver que soixante et onze quartiers ». Cette critique de la vanité et de l’orgueil nobiliaire se poursuit avec celle des vices du fils du baron, le gouverneur de Buenos Aires. Pour Voltaire qui appartenait à la bourgeoisie aisée et désirait acquérir les mêmes privilèges que les nobles, la noblesse est une classe en déclin qui cherche vainement à redorer son blason (la « meute dans le besoin » , les « piqueurs » , le « grand-aumônier ») pour sauver la face. Vaniteuse et superficielle, elle se soucie que des apparences et préfère l’immoralité (Candide est un « bâtard » ) à une mésalliance.


Les armes de l’ironie ou de l’antiphrase (fiche, p. 172) : ce que pense l’auteur est le contraire de ce qu’il écrit. Il s’agit donc d’une écriture au second degré qui ne peut être comprise que si les lecteurs ont les mêmes références culturelles (une lecture au premier degré entraînerait des contresens) : « Intelligenti pauca ».

Les logiques aberrantes et les hyperboles provoquent des effets de distorsion du réel : jeux de paradoxes et d’incohérences produits par des effets de contrastes (antithèses et antiphrases = figures d’opposition), de rupture (logiques aberrantes) et d’exagération (hyperboles, énumérations, rythme accumulatif) récurrents destinés à provoquer la surprise, à déstabiliser le lecteur, à le libérer de ses préjugés, de ses certitudes.

Exemples de logiques aberrantes : « Monsieur le baron était un des plus puissants seigneurs de la Vestphalie, car son château avait une porte et des fenêtres » ; « Madame la baronne, qui pesait environ trois cent cinquante livres, s’attirait par là une très grande considération » ;

Exemples de d’hyperboles : le poids de la baronne, les superlatifs de supériorité (« les mœurs les plus douces », « l’esprit le plus simple » , « encore plus respectable » , « le plus beau des châteaux » , « la meilleures des baronnes possibles » ), le rythme accumulatif (avec notamment le mot valise : « métaphysico-théologo-cosmonigologie » inventé de toutes pièces par Voltaire pour se moquer des métaphysiciens), les répétitions comme le leitmotiv « point d’effet sans cause » (critique de la théorie de Wolf) , « le meilleur des mondes possibles » destiné à ridiculiser la philosophie de Leibniz à travers les théories de Pangloss tout au long du conte : ironie récurrente dans ce chapitre comme dans tout le conte (cf. à la fin du chapitre : « tout fut consterné* dans le plus beau et le plus agréable des châteaux possibles. » * consterné au sens propre de renversé.)


[L’amour rend aveugle : « Candide écoutait attentivement, et croyait innocemment : car il trouvait mademoiselle Cunégonde extrêmement belle », sixième paragraphe du chapitre premier]


III. Candide et le « meilleur des mondes » : ironie de Voltaire à l’égard de son personnage.


Seul Candide fait l’objet d’une caractérisation précise, intellectuelle et morale, les autres protagonistes sont des marionnettes sans intériorité. Il n’est pourtant qu’un personnage symbolique : portrait de l’ « engano », métaphore de l’embarquement et balayé par les événements, il n’a pas beaucoup d’autonomie. Il est le vecteur des idées philosophiques de Voltaire : d’abord « un jeune métaphysicien fort ignorant des choses de ce monde » (chapitre II), il apprend au fil du récit initiatique à remettre en cause les théories de Pangloss, son précepteur avant de devenir homme et d’acquérir la sagesse : « il faut cultiver notre jardin » (leçon de modération et d’équilibre).

Candide est « une page blanche »* , un « homme-enfant » réduit à cet état de sujétion qu’est aux yeux de Voltaire l’enfance [à la différence de Rousseau qui exalte l’enfance, Voltaire voit dans celle-ci un assujettissement]. Le narrateur souligne sa dépendance à l’égard de son précepteur (« le petit Candide […] écoutait ses leçons avec toute la bonne foi » ), sa crédulité : le personnage est infantilisé.

* Page blanche (étymologie de Candide : candidus = « blanc » ) , fétu de paille balayé par l’histoire, il est embarqué, suivant la métaphore de l’« engano » et ne peut se sauver dans un arrière-monde. Il lui faudra faire l’expérience de la vie, souffrir, pour apprendre (cf. « l’insoutenable légèreté de l’être » , Milan Kundera)

Voltaire, qui est un « mondain », à la différence de Rousseau ( le « misanthrope » ?) ne sublime pas l’enfance et l’innocence : il n’a pas comme l’auteur des Confessions la nostalgie du paradis perdu, bien au contraire. Pour l’auteur de Candide, comme pour la plupart de ses contemporains, l’enfance n’est pas un âge privilégié, c’est pourquoi il importe que le héros soit confronté le plus tôt possible à l’expérience de la vie, aux événements : le conte philosophique donne une leçon de pragmatisme (de cynisme ? avec par exemple la mort de Jacques à cause du méchant matelot sauvé par lui alors même que ce dernier avait déjà été brutal avec lui : « Homo homini lupus » ?).


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"En toute chose, il faut considérer la fin", La Fontaine


Chapitre XXX de Candide ou l’Optimisme, Voltaire (1758-1759)

Un mouvement littéraire et culturel : Les Lumières du XVIIIème

Chapitre 30 : la lecon finale (« Candide, en retournant dans sa métairie […] mais il faut cultiver notre jardin. » )


La leçon ou la philosophie de Candide ou l’optimisme : la sagesse ou la philosophie de Voltaire de Candide ou l’Optimisme (1758-1759)

Il faut trouver des remèdes au mal qui règne dans le monde.

se taire (c’est la leçon retirée de la rencontre avec le derviche) : tout a été dit, montré, démontré ; les bavardages métaphysiques ne règlent pas les problèmes, mieux vaut agir (Pangloss et Candide ne sont-ils pas condamnés par l’Inquisition au chapitre VI, l’un pour avoir trop parlé, l’autre pour avoir écouté ?), c’est pourquoi le jeune héros invite en fin de parcours son précepteur à se taire.

travailler (c’est la leçon du « bon vieillard »): « le travail éloigne de nous trois grands maux : l’ennui, le vice et le besoin. »

« Il faut cultiver notre jardin » : injonction allégorique à prendre au sens figuré de : « se cultiver, fertiliser le monde » (métaphore des « Lumières »), agir au lieu de perdre son temps en vains commentaires (et non au sens propre de se replier égoïstement sur soi).


Extrait étudié au « chapitre trentième » : « Candide, en retournant dans sa métairie […] mais il faut cultiver notre jardin ».


Dans le conte philosophique Candide ou l’Optimisme, Voltaire s’attaque à la philosophie optimiste de Leibniz. Le « chapitre trentième » exprime un nouvel engagement de Voltaire, chroniqueur de son temps par le biais de la stratégie du détour de l’apologue dont la satire toujours présente (à travers la caricature de Pangloss et ses ratiocinations superflues et ridicules inadaptées aux événements) s’accompagne ici de la mise en application de valeurs exemplaires, plus proches de la réalité du lecteur que celles véhiculées par l’utopie de l’Eldorado dont elles s’inspirent pourtant quelque peu. Le chapitre XXX est le dernier du conte et sert d’épilogue. Tous les personnages ou presque sont réunis. Candide vient de consulter un derviche et un « bon vieillard » : le premier lui a conseillé de se taire et de ne pas se mêler des affaires du monde, l’autre se « contente d’[…]envoyer [à Constantinople] les fruits qu’(il) cultive » et Candide prendra modèle sur eux pour régler sa conduite et celle de la « petite métairie » où il vit avec Cunégonde devenue sa femme, « le philosophe Pangloss, le philosophe Martin, le prudent Cacambo », Paquette et la vieille. Cet épilogue du chapitre trentième est composé de deux paragraphes qui correspondent à deux mouvements ponctués par les commentaires de Pangloss : l’un qui prépare le dénouement du conte en précisant la source des réflexions de Candide (« le discours du Turc »), l’autre qui illustre ces dernières par une mise en application des leçons tirée par le héros de son expérience de la vie (« l’engano ») . Il semble proposer un dénouement heureux. Qu’en est-il ?


  • comment la narration est-elle dans cet épilogue au service de l’argumentation ?

  • quelle leçon retirer de la mise en scène fantaisiste de cette fiction narrative ?

I. La stratégie du détour du conte : entre narration et dialogue

(la poétique du texte)


Au début du passage, le gérondif « en retournant », souligne l’enchaînement avec l’épisode précédent : la rencontre déterminante avec le vieillard turc (le « bon vieillard ») et situe le héros dans son cadre spatio-temporel : « sa métairie ».

Les passages narratifs encadrent comme au chapitre XIX une autre forme de discours : les guillemets et les tirets des deux paragraphes sont la marque d’un dialogue. Les interlocuteurs sont désignés dans les incises. Le récit au passé entrecoupé de dialogues alterne la narration et la prise de parole des deux personnages principaux du conte : le héros et son maître qui sont les seuls à prendre la parole au discours direct dans ces deux paragraphes (avec Martin à la fin du premier).


Dans le premier paragraphe, la longue énumération de rois qui ont connu un destin tragique, tous morts assassinés, dans l’ancien testament, l’Antiquité et l’histoire d’Angleterre et de France permet à Pangloss de faire étalage de ses connaissances pour simplement illustrer une vérité que vient de souligner son élève : « Les grandeurs […] sont fort dangereuses selon le rapport de tous les philosophes ». Ce discours pédant et redondant interrompu par le héros, encadré par les répliques brèves de Candide au début et de Martin à la fin, fait contraste avec le laconisme de ces derniers, ce qui n’empêche pas l’incompressible bavard de jouer au pédant avec une référence au jardin d’Eden, cette citation de la genèse une prenière fois en latin, puis traduite : « ut operaretur eum, pour qu’il travaillât » et une maxime énoncée au présent gnomique qui induit une généralisation pseudo-philosophique tirée de cette citation d’autorité : « ce qui prouve que l’homme n’est pas fait pour le repos ». Cette réplique de l’incorrigible Pangloss donne l’occasion à Martin le philosophe pessimiste de l’inviter sans détours, à se mettre au travail « sans raisonner » davantage, ainsi que le souligne l’impératif : « Travaillons sans raisonner, dit Martin ; c’est le seul moyen de rendre la vie supportable ».


Dans le second paragraphe, le discours de clôture de Pangloss se présente comme un résumé du voyage de Candide. Ce récapitulatif inutile annonce la clôture du conte philosophique car il rassemble tout ce qui a été développé avant d’apporter une conclusion. Chaque terme de l’énumération composée de propositions hypothétiques (introduites pas « si » ) renvoie précisément à une péripétie du conte mais aboutit à une chute qui tombe à plat dans la proposition principale où se trouve exprimée une évidence sans intérêt qui ne nécessitait pas une telle entrée en matière : « vous ne mangeriez pas ici des cédrats confits et des pistaches ». La logorrhée de la dernière tirade du « philosophe » optimiste contraste avec le laconisme de la dernière réplique de Candide, de même que la description sous forme de parataxe des activités et de la répartition des tâches des habitants de “la petite société” (à l'aide d'une succession de verbes d’action au passé simple) : « Toute la petite société » : « chacun se mit à exercer ses talents […], Cunégonde […] devint une excellente pâtisière ; Paquette broda ; la vieille eut soin du linge ») Pangloss disait quelquefois à Candide ») .


Remarquons surtout que le mot de la fin appartient au héros.


II. La fonction argumentative du récit : la dénonciation de l’optimisme (la critique ou les enjeux pédagogiques du texte)

Le récit au passé entrecoupé de dialogues est mis en scène de façon significative (signifiante) dans ces deux paragraphes de clôture du conte philosophique.


La critique de l’optimisme :

La « dispositio » de ces deux paragraphes souligne la dénonciation de l’illusion optimiste, leitmotiv de l’ensemble de ce conte philosophique. L’idée que l’optimisme est une illusion intellectuelle est rendue sensible par les jeux d’opposition entre les discours de Pangloss, le « philosophe » optimiste et ceux de Candide et de Martin, le « philosophe » pessimiste…


Dans le premier paragraphe, la longue énumération de Pangloss est encadrée de façon significative, en quelque sorte neutralisée par le laconisme des répliques de Candide et de Martin, donnant à voir au lecteur par la « dispositio » comment il convient d’endiguer la logorrhée (le flux verbal) des bavards incompressibles. Le maître de Candide se ridiculise une nouvelle fois en énumérant des noms rois de morts assassinés alors que son élève vient de tirer avec sagesse un enseignement d’une rencontre qu’ils viennent de faire, s’appuyant, lui, sur l’expérience immédiate et non sur une érudition hors de propos : Voltaire s’inspire une fois de plus du burlesque de Rabelais, choquant les mots comme des castagnettes, pour se moquer du pédantisme des discours « en roue libre » qui ne servent à rien.

Dans le second, le discours de Pangloss se présente comme un résumé du voyage de Candide, inutile puisqu’il est précédé d’hypothèses sans intérêt qui doublent la réalité du vécu sans apporter d’enseignement supplémentaire à celui que son élève en a retiré ; une nouvelle fois le prétendu philosophe tire des conclusions de tout pour nourrir son optimisme, instaurant mécaniquement des rapports de causalité superflus. Voltaire ridiculise Leibniz et Wolf.

Le registre de cet extrait reste ironique avec, à travers les ridicules de Pangloss, le leitmotiv de la critique de l’optimime de Leibniz ( « Tout est bien dans le meilleur des mondes ») et son corollaire, les rapports de causalité systématiques induits mécaniquement par le beau parleur suivant la philosophie de Wolf (« Il n’y a pas d’effet sans cause »)

C’est le héros qui aura le mot de la fin, le conte opérant un renversement dans les rôles respectifs du maître et du disciple significatif de l’autonomie du héros à la fin de son cycle d’apprentissage : mûri par l’expérience de la vie ( « engano » ), il n’a plus besoin des leçons de son maître puisqu’il sait les retirer lui-même de sa confrontation avec les événements : « je sais aussi», rétorque-t-il à son précepteur. Il est capable non seulement d’interrompre ce dernier (1er §) mais encore de le contredire ainsi que l’atteste la conjonction de coordination d’opposition « mais » qui précède l’énoncé de l’expression devenue proverbiale : « il faut cultiver notre jardin » .



Un leçon de sagesse : les valeurs des « Lumières » (travail et vie en société)


La métairie ressemble à la baronnie : on y retrouve les mêmes personnages et le monde est clos : c’est un univers heureux, si l’on pense que « la petite terre rapport[e] beaucoup » et que chacun y est capable d’exercer ses talents » ; c’est aussi un univers sans désir, occupé seulement de se maintenir en l’état, ce qui était également le cas du pays de l’Eldorado (cf. EAF 2010 : la Bétique des Aventures de Télémaque, Fénelon)

La métairie s’oppose toutefois à la baronnie : Candide, chassé du paradis au chapitre premier chasse à son tour le fils du baron : le début du chapitre trentième est un écho du chapitre I (épanadiplose avec le motif du lieu clos ; construction en chiasme avec jeu de parallélisme et d’opposition). Si la baronnie s’organisait autour du baron, la métairie, elle, fonctionne grâce à Candide ; enfin, la baronnie était un monde de privilèges, d’illusions et de prétention, alors que la métairie repose sur le travail et le talent de chacun, sans aucune considération pour les codes sociaux.

L’organisation de la métairie repose sur la divison des tâches en fonction de ses compétences. C’est une communauté égalitaire. Le frère de Cunégonde, qui n’a pas voulu renoncer à ses prétentions aristocratiques en a été exclu. La vie collective est tournée vers le travail, élevé au rang de valeur centrale de l’existence. Sa réussite, « la petite terre rapporta beaucoup », vérifie la maxime du vieillard : le travail joue un rôle philosophique (il éloigne l’ennui), un rôle moral (« frère Giroflée […] devint honnête homme », un rôle économique (il éloigne le besoin).


Peut-on imaginer Candide heureux ? Ce serait démentir le « pessimisme gai » de Voltaire…


Par rapport au reste du conte qui en laissait prévoir d’autres (par exemple la richesse de l’Eldorado présageait une puissance et une grandeur de Candide qui rêvait d’être un « petit roi » , le dénouement) le dénouement peut paraître décevant. D’autre part, toutes les questions posées par le texte jusqu’ici restent en suspens : « se taire » , il n’y a pas de leçon de morale (à part l’éjection du baron) et les personnages renoncent à toute connaissance. Enfin, toute idéologie est écartée (ni politique, ni métaphysique). C’est là aussi une revanche de Candide : comme le vieillard turc , c’est un simple, donc un sage et une forme de bonheur peut s’ouvrir à lui*.

Cette fin des espérances et du rêve n’est pas très excitante mais c’est ce qui lui donne une chance de durer : les exaltés et les agités dans Candide sont tôt ou tard sources de tous les malheurs.

De même en est-il des amours du héros et de la belle Cunégonde qui finissent par le mariage bien peu romantique du jeune héros déniaisé avec sa cousine qu’ « il trouvait extrêmement belle » au chapitre premier devenue « à la vérité, bien laide » au chapitre dernier et dotée de surcroît d’un caractère peu aimable : « sa femme, devenant tous les jours plus laide, devint acariâtre et insupportable ». Cette union est bien peu romantique et le héros semble ne l’avoir contractée que pour déplaire à son beau-frère et sur les insistances de la jeune fille : « Candide, dans le fond de son cœur, n’avait aucune envie d’épouser Cunégonde ; mais l’impertinence extrême du baron le déterminait à conclure le mariage, et Cunégonde le pressait si vivement qu’il ne pouvait s’en dédire. » Mais elle répond au pragmatisme de Voltaire : comme tous les autres habitants de la métairie, la jeune femme sait se rendre utile, « elle devint une excellente pâtissière »… et cela seul compte apparemment pour Voltaire qui ne semble pas être un sentimental…


* cf. Histoire d’un bon bramin, à la fin de cet article.


III. Le héros évolue-t-il ? (la problématique de « l’engano »)


Candide s’est métamorphosé au fil de son parcours initiatique : il s’est confronté aux malheurs du monde et enrichi par l’expérience de ses rencontres. Son éducation est achevée par sa conversation avec le vieillard turc (le « bon vieillard » qui se situe dans le prolongement du roi du pays d’Eldorado et ouvre sans doute la voie au « bon bramin » du conte imaginé par Voltaire en 1761). Ne se contentant plus de rester passif face aux événements, ni d’exprimer ses émotions il est capable à présent « de profondes réflexions », et de mettre en cause l’optimisme dont il a été nourri au point d’abandonner cette doctrine. L’épilogue le donne à voir au lecteur par la poétique du texte qui invite à constater l’évolution du héros par la « dispositio » de la narration. Candide intervient par deux fois sous forme de discours direct pour contredire par son laconisme les ratiocinations de son maître : dans le premier paragraphe il interrompt une énumération à n’en plus finir inadaptée aux événements, dans le second il se contente de ponctuer philosophiquement le commentaire inutile de son maître par la formule célèbre devenue presque proverbiale : « Il faut cultiver notre jardin » donnant le mot de la fin précédé d’une conjonction de coordination d’opposition ( « mais ») qui consacre sa rupture définitive d’avec son ancien maître et sa philosphie optimiste.


Dans l’économie de l’œuvre, l’interruption du maître par le disciple (1er §) et sa capacité à le contredire (2ème §) sont un premier pas dans sa vie d’homme suivant le processus initiatique décrit en fin d’article. C’est en quelque sorte sa conception particulière de l’utopie (au sens étymologique de « monde à l’envers » : du grec « ou » = « non » et « topos » = « lieu », d’où : « en aucun lieu ») que Voltaire propose dans cet épisode de clôture (situation finale), une utopie qui n’a rien à voir avec celles proposées par les humanistes du XVIème siècle dont celle du pays de l’Eldorado pourrait être une illustration, parce qu’elle ne s’appuie pas sur l’imaginaire (l’invention d’un monde qui n’existe pas) mais sur la métamorphose de la personne dans un processus de socialisation bien réel : l’utopie pourrait apparaître ici le renversement des rôles entre le maître et le disciple (un monde à l’envers pédagogique).


Bibliographie :

La République, Le Banquet, Platon

L'Utopie, Thomas More

L'Eloge de la folie, Erasme

Gargantua, Pantagruel, Rabelais (l'abbaye de Thélème)

Candide, Voltaire (l'Eldorado)

Le Discours sur l'origine et les fondements et de l'inégalité parmi les hommes, Rousseau



Conclusion : les caractéristiques de cet épilogue


Composé de deux mouvements, l’un qui prépare le dénouement du conte en précisant la source des réflexions de Candide (« le discours du Turc »), l’autre qui illustre ces dernières par une mise en application des leçons tirée par le héros de son expérience de la vie (« l’engano »), cet épilogue s’appuie sur la fiction pour promouvoir les valeurs des « Lumières » : le travail et la vie collective (Voltaire était un mondain opposé à Rousseau, le misanthrope*). Entre fiction et réalité, le conte joue de la double postulation du divertissement et du didactique pour instruire tout en divertissant le lecteur grâce à la stratégie du détour : il narre une fiction, par définition ; mais la situation donne un enseignement applicable dans la vie réelle. En mettant en action ses héros, en donnant à voir, le narrateur suscite l’imagination du lecteur, comme dans un texte de fiction, mais lui fait aussi appréhender la réalité contemporaine, et celle-ci est facilitée par le fait qu’elle passe par la fiction, plus accessible au lecteur : la leçon de modération qui s’appuie sur l’idéal humain classique de « l’honnête homme » et les valeurs des « Lumières » de paix par l’ « industrie » (au sens ancien de progrès par l’invention technique et le travail) et le « commerce » (au sens ancien de communication entre les hommes et de vie en société) sont ici soulignées et mises à la portée d’un public plus vaste. De plus, à travers son héros, Voltaire présente des attitudes possibles auxquelles le lecteur peut se référer par un processus d’identification, ce qui facilite sa prise de position.

Ainsi, le conte devient un support pédagogique à la dénonciation (l’optimisme de Leibniz) et à la promotion des idées des « Lumières » .


Un essai plus abstrait n’aurait sans doute pas la même portée : encore un point qui oppose Voltaire à l’auteur du Contrat social et des Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes. Rouseau met en cause les qualités pédagogiques de la stratégie du détour des Fables dans Emile ou de l’éducation, alternant distinctement dans ses Confessions le narratif et l’argumentatif sans jamais mêler les deux, d’une façon qu’il considère plus honnête et plus pédagogique sans doute. Le texte de Rousseau, qu’il s’agisse de ses « discours » (genre de l’essai) ou de ses autobiographies (alternance de narratif et d’argumentatif : de biographique et d’essai) tient le lecteur à distance par sa présence et proscrit tout processus ludique d’évasion par la fiction , restreignant jusque dans le champ de ses récits autobiographiques le jeu d’identification : l’énonciateur Rousseau qui semble se construire au fil de l’écriture sous les yeux du lecteur ne se perd jamais de vue (à la différence de Voltaire qui n’apparaît jamais directement dans le conte philosophique) et se met en scène pour juger Jean-Jacques. Le lecteur–narrataire ne semble convoqué que pour partager avec l’auteur les sentiments et les réflexions tirées de l’expérience unique au monde d’un homme singulier suivant le protocole de lecture de l’incipit des Confessions.

La portée universelle de l’apprentissage chez Rousseau se manifeste donc de façon diamétralement opposée à celle de Voltaire pour qui « les meilleurs livres sont ceux dont les lecteurs font eux-même la moitié ».


* Lettre de Voltaire à Rousseau :

« J’ai reçu, monsieur, votre nouveau livre contre le genre humain ; je vous en remercie. Vous plairez aux hommes, à qui vous dites leurs vérités, mais vous ne les corrigerez pas. On ne peut peindre avec des couleurs plus fortes les horreurs de la société humaine, dont notre ignorance et notre faiblesse se promettent tant de consolation. On n’a jamais employé tant d’esprit à vouloir nous rendre bêtes ; il prend envie de marcher à quatre pattes, quand on lit votre ouvrage. Cependant, comme il y a plus de soixante ans que j’en ai perdu l’habitude, je sens malheureusement qu’il m’est impossible de la reprendre, et je laisse cette allure naturelle à ceux qui en sont plus dignes que vous et moi. Je ne peux non plus m’embarquer pour aller trouver les sauvages du Canada : premièrement, parce que les maladies dont je suis accablé me retiennent auprès du plus grand médecin de l’Europe, et que je ne trouverais pas les mêmes secours chez les Missouris ; secondement, parce que la guerre es t portée dans ces pays-là, et que les exemples de nos nations ont rendu les sauvages presque aussi méchants que nous. Je me borne à être un sauvage paisible dans la solitude que j’ai choisie auprès de votre patrie, où vous devriez être. » …