DESCRIPTIF : BAC BLANC (1er trimestre 2010) – 1ère ES 1 - LD Loquet -


Objet d'étude n°1 : l'argumentation


Littérature et altérité de L'Humanisme aux Lumières : "L'autre, un sujet en question"

en perspective croisée avec les mouvement des "Lumières"


"De l'esclavage des nègres", Montesquieu, L'Esprit des Lois, 1748 (XV, 5)

Titre dans les premières éditions de 1748 et 1749 :

"De l'Esprit des Lois ou du rapport que les lois doivent avoir avec la constitution de chaque gouvernement, les moeurs, le climat, la religion, le commerce, etc., à quoi l'auteur a ajouté des recherches nouvelles sur les lois romaines touchant les successions, sur les lois françaises et sur les lois féodales."

Dès 1750, Montesquieu renoncera à ce long sous-titre explicatif.

Epigraphe empruntée à Ovide (dès la 1ère édition) : "prolem sine matre creatam" (enfant né sans mère)


Lorsque est écrite cette page célèbre, l'esclavage n'est pas une invention récente... Le fait nouveau est la "traite", phénomène général résultant de l'expansion coloniale de l'Espagne et du Portugal, puis de l'Angleterre et de la France dans le Nouveau Monde, dont la mise en exploitation régulière a suscité un trafic triangulaire : d'Europe en Afrique, de là vers les Indes Occidentales, et d'Amérique en retour vers l'Europe.


Ce texte, auquel on ne peut assigner une date précise de rédaction, est l'aboutissment d'une longue maturation. Les premiers germes figurent dans les Lettres persanes 59 (sur la couleur des Noirs) et 75 ( rapports entre esclavage et religion). Dans l'Esprit des Lois, Montesquieu est conduit logiquement à étudier les relations entre les lois théoriques et les conditions réelles et infiniment variables de leur application selon les moeurs, les climats, les traditions, en particulier dans leurs rapports avec la religion ; il en résulte de généreuses prises de position contre l'intolérance, le fanatisme, l'injustice, etc. C'est dans cet état d'esprit qu'est rédigé le chapitre sur "l'esclavage de Nègres".


L'humour à froid fondé sur la logique de l'absurde : le droit dont il est question semble échapper à toute discussion. Il ne s'agit que de trouver les meilleurs arguments pour le soutenir. Mais ces arguments vont se détruire d'eux-mêmes.


La méthode incisive du "sans-commentaire" : elle laisse au lecteur le soin de découvrir lui-même la réfutation de ces arguments sans valeur et de les condamner pour leur caractère odieux.

Procédé dont l'efficacité est accréditée par Pascal et par Voltaire :

Pascal : "on se persuade mieux pour l'ordinaire par les raisons qu'on a soi-même trouvées".

Voltaire : "Les meilleurs livres sont ceux dont les lecteurs font eux-mêmes la moitié."


Explication du texte :


Ligne 1 :

"Si j'avais à soutenir" cette thèse, "je dirais" = je soutiens cette thèse

Une stratégie du détour par la fiction narrative du préambule : une proposition de condition introduite par "si" qui induit une modalisation à l'irréel du présent dans la principale = une prétérition ironique pour introduire une dénonciation qui traduit l'indignation du philosophe sous le masque conventionnel de l'avocat des mauvaises causes.


* la prétérition (du latin praeteritio : "action de passer sous silence") : figure de rhétorique impressive qui influence l'attitude de l'interlocuteur en éveillant son attention pour aiguiser sa curiosité. Elle consiste à parler de quelque chose après avoir annoncé que l'on ne va pas en parler. Elle permet de ne pas prendre l'entière responsabilité de ses propos.


Une argumentation logique (logique absurde et cynique) : une argumentation explicite (discréditée d'emblée par la prétérition ironique du préambule à l'irréel du présent)


L'habileté de Montesquieu consiste à mettre sur le même plan des arguments soutenus presque tels quels par les tenants de l'esclavage * et des arguments grotesques dont le caractère absurde saute aux yeux et qui, ainsi, achèvent de déconsidérer les premiers, sapés par la façon dont ils sont présentés.

* Montesquieu, lui-même était actionnaire de la Compagnie des Indes et fréquentait à Bordeaux les milieux d'armateurs négriers et d'importateurs (sucre, café, épices, etc.). Il est d'autant plus remarquable de voir qu'il prend position contre cette institution où se combinent asservissement inique et préjugé racial. S'il fait preuve ainsi d'un certain courage, il s'élève pourtant plus contre le, premier (l'esclavage) que contre le second (le préjugé racial), car il ne juge sans doute pas tout à fait les Nègres comme étant les égaux des Européens. Son honneur n'en demeure pas moins d'être le premier à dénoncer avec tant de vigueur un tel scandale.



1. Convaincre : deux arguments logiques (logique aberrante = absurde, cf. Voltaire)

La sinistre ironie des deux arguments d'ordre historique et économique qui se fondent sur la raison pour dénoncer l'égoïsme immoral et l'hypocrisie intéressée des esclavagistes : "ont dû" (modalisateur d'obligation).

Lignes 2-3 : "Les peuples d'Europe"...

C'est au nom de la nécessité économique et des exigences de la civilisation que les esclavagistes justifient la "traite" des "nègres".

C'est en invoquant un crime monstrueux* ("exterminer") que les esclavagistes présentent comme une nécessité inéluctable un autre crime "mettre en esclavage".

*Rappel : la découverte du Nouveau Monde (Colomb, 1492) s'est accompagnée de massacres qui ont rendu tristement célèbres les noms de Cortès (Mexique, 1519) et Pizarre (Pérou, de 1524 à 1533 : sa tyrannie suscite une révolte sanglante en 1534-1536)...

Ces arguments n'ont de logique que l'apparence et ceux qui les soutiennent de sang-froid se rendent odieux par leur cynisme : ils avouent qu'ils traitent les hommes comme des objets : "s'en servir".

Ligne 4 : "Le sucre serait trop cher"...

Cet argument économique est d'une évidente hypocrisie : les exploitants insistent sur le service public qu'ils rendent en maintenant bas le cours du sucre à la production sans avouer qu'en employant des "esclaves" au lieu d'ouvriers salariés ils songent surtout à leurs bénéfices. Il se détruit par une disproportion entre un avantage minime portant sur le prix d'une denrée, et une atteinte impardonnable à la dignité de la personne humaine. Le contraste entre la fausse objectivité du ton et l'horreur des idées énoncées invite à s'indigner contre l'égoïsme et l'inhumanité des esclavagistes.


2. Persuader et convaincre : quatre arguments d'ordre racial se fondent sur le sentiment et les préjugés pour dénoncer, par le jeu de l'absurdité, des préjugés que maintiennent instincts irrationnels, convictions intimes, traditions périmées ou conformisme stupide.

Ligne 5 : "Ceux dont il s'agit"... "noirs des pieds jusqu'à la tête" : précision comique qui discrédite l'attention portée aux apparences extérieures (cf. "Comment peut-on être Persan ?")

Le préjugé de la couleur est vivace au XVIIIème siècle : la pigmentation des "nègres" est une énigme, et figure en 1741 comme sujet de concours à l'Académie de Bordeaux dont Montesquieu est membre.

"et ils ont le nez si écrasé qu'il est presque impossible de les plaindre" : argument saugrenu fondé sur un préjugé racial d'ordre esthétique : "le nez si écrasé" (cf. La critique de la superficialité du regard porté sur les apparences extérieures dans "Comment peut-on être Persan ?")

"presque" : modalisateur qui induit une restriction absurde = malice satirique de l'auteur qui discrédite l'absurdité de cet argument.

C'est ici une boutade de salon, d'une frivolité cruelle, qu'on croirait sortie de la bouche d'une marquise Louis XV : "Comment peut-on être si noir ?" = comment s'apitoyer sur des être si différents de nous ?

Ligne 6 :"On ne peut se mettre dans l'esprit"...

Logique absurde : l'idée qu'une "âme bonne", forcément blanche, habite un corps blanc (comme celui des esclavagistes) et ne saurait habiter "un corps tout noir".

La question de l'âme des Noirs est proche de celle de l'âme des femmes soulevée dans les Lettres persanes, et du problème cartésien des animaux-machines : les "Nègres" sont pour les esclavagistes des instruments de travail assimilés à des animaux domestiques (cf. Résurgences d'une lointaine symbolique morale et religieuse des couleurs : le blanc serait pureté, foi, évangélisme ; le noir infernal et démoniaque évoquerait les mystères nocturnes et les maléfices sabbatiques + souvenir d'une tradition superstitieuse selon laquelle la race noire descendant de Cham, maudite par son père Noé, porterait la marque d'une malédiction divine).


3. L'argument le plus grave de tous repose sur un syllogisme implicite (crescendo argumentatif) : il se fonde sur la foi pour dénoncer l'inconséquence de chrétiens qui n'observent pas la loi du christianisme (La loi d'amour de Jésus Christ : "Aimez-vous les uns les autres").

"Nous sommes chrétiens (= nous considérons les hommes comme frères) or nous admettons " l'esclavages des nègres" ; c'est donc que les "nègres" ne sont pas des hommes".


La conclusion, tout en suggérant une solution pratique, se fonde sur le droit et la piété pour dénoncer l'universelle complicité et opposer à la lâcheté des puissants de ce monde l'honneur humain, qu'incarnent les philosophes protestataires des "Lumières".


=> Une argumentation qui passe en crescendo de l'ironie détachée à l'indignation engageant tout l'être ; elle progresse aussi, par une constante intériorisation de l'homme professionnel à l'homme social et à l'homme moral, élevant le débat jusqu'aux suprêmes hauteurs de la fraternité mondiale.


La légitimation de l'esclavage et de son maintien que Montesquieu a feint de prendre à son compte, repose ainsi, au terme de l'analyse, sur des raisonnements hypocrites et faux ("esprits faux", Pascal, Pensées) qui se détruisent eux-même par leur absurdité et qui révoltent le coeur de tout homme généreux ("Humanisme"). La plupart de ces arguments discrédités par Montesquieu ne sont pas inventés à plaisir et sont même à peine déformés*. Ils ne paraissent sans doute pas aussi grotesques aux hommes de son temps et il fallait tout l'art de l'ironie et de l'insinuation satirique pour faire sentir leur caractère ridicule ou atroce.

* Rappel : Montesquieu, lui-même était actionnaire de la Compagnie des Indes et fréquentait à Bordeaux les milieux d'armateurs négriers et d'importateurs (sucre, café, épices, etc.). Il est d'autant plus remarquable de voir qu'il prend position contre cette institution où se combinent asservissement inique et préjugé racial. S'il fait preuve ainsi d'un certain courage, il s'élève pourtant plus contre le, premier (l'esclavage) que contre le second (le préjugé racial), car il ne juge sans doute pas tout à fait les Nègres comme étant les égaux des Européens. Son honneur n'en demeure pas moins d'être le premier à dénoncer avec tant de vigueur un tel scandale.


L'ESSAI - Montaigne, Livre premier, chapitre XXXI

Concours de photos pour le roman "générationnel" 2011 : où cette photo a-t-elle été prise ?

cf. http://tempoeroman.blogspot.com

"Que sais-je ?"


DESCRIPTIF : BAC BLANC (1er trimestre 2010) – 1ère ES 1 - LD Loquet -


Objet d'étude n°1 : l'argumentation


Littérature et altérité de L'Humanisme aux Lumières : "L'autre, un sujet en question"

en perspective croisée avec les mouvement des "Lumières"

    Montaigne, "Des cannibales", Essais, I, XXXI, 1588-1592 : "Or, je trouve, pour revenir à mon propos" à "les moindres et imparfaites, par la dernière."


Or, je trouve, pour revenir à mon propos, qu'il n'y a rien de barbare et de sauvage en cette nation, à ce qu'on m'en a rapporté, sinon que chacun appelle barbarie ce qui n'est pas de son usage ; comme de vrai, il semble que nous n'avons autre mire de la vérité et de la raison que l'exemple et idée des opinions et usances du pays où nous sommes. Là est toujours la parfaite religion, la parfaite police, parfait et accompli usage de toutes choses. Ils sont sauvages, de même que nous appelons sauvages les fruits que nature, de soi et de son progrès ordinaire, a produits : là où, à la vérité, ce sont eux que nous avons altérés par notre artifice et détournés de l'ordre commun, que nous devrions appeler plutôt sauvages. En ceux-là sont vives et vigoureuses les vraies et plus utiles et naturelles vertus et propriétés, lesquelles nous avons abâtardies en ceux-ci, et les avons seulement accommodées au plaisir de notre goût corrompu. Et si pourtant, la saveur même et délicatesse se trouve à notre goût excellente, à l'envi des nôtres, en divers fruits de ces contrées-là sans culture. Ce n'est pas raison que l'art gagne le point d'honneur sur notre grande et puissante mère Nature. Nous avons tant rechargé la beauté et richesse de ses ouvrages par nos inventions que nous l'avons du tout étouffée. Si est-ce que, partout où sa pureté reluit, elle fait une merveilleuse honte à nos vaines et frivoles entreprises,


Et veniunt ederae sponte sua melius,

Surgit et in solis formosior arbutus antris,

Et volucres nulla dulcius art canunt.*


Tous nos efforts ne peuvent seulement arriver à représenter le nid du moindre oiselet, sa contexture, sa beauté et l'utilité de son usage, non pas la tissure de la chétive araignée. Toutes choses, dit Platon, sont produites par la nature ou par la fortune, ou par l'art ; les plus grandes et plus belles, par l'une ou l'autre des deux premières ; les moindres et imparfaites, par la dernière.

Ces nations me semblent donc ainsi barbares, pour avoir reçu fort peu de leçon de l'esprit humain, et être encore fort voisines de leur naïveté originelle. Les lois naturelles leur commandent encore, fort peu abâtardies par les nôtres; mais c'est en telle pureté, qu'il me prend quelquefois déplaisir de quoi la connaissance n'en soit venue plus tôt, du temps qu'il y avait des hommes qui en eussent su juger mieux que nous.


*Properce, poète latin du Ier siècle av.J.-C.) :

"Le lierre vient mieux quand il vient de lui-même,

L'arbouse croît plus belles aux antres solitaires

Et les oiseaux sans art n'en ont qu'un chant plus doux"



DESCRIPTIF : BAC BLANC (1er trimestre 2010) – 1ère ES 1 - LD Loquet -


Objet d'étude n°1 : l'argumentation => la subjectivité de la thèse de Montaigne (x l'autoportrait)


"Le style, c'est l'homme même", Buffon


Littérature et altérité de L'Humanisme aux Lumières : "L'autre, un sujet en question"

en perspective croisée avec les mouvement des "Lumières"

    Montaigne, "Des cannibales", Essais, I, XXXI, 1588-1592 : "Or, je trouve, pour revenir à mon propos" à "les moindres et imparfaites, par la dernière."

1er axe :

Première étape de l'enquête : première lecture-découverte du texte

1. Qui parle ?

2. De qui est-il question ?

3. De quoi, est-il question ?


Or, je trouve, pour revenir à mon propos, qu'il n'y a rien de barbare et de sauvage en cette nation, à ce qu'on m'en a rapporté, sinon que chacun appelle barbarie ce qui n'est pas de son usage ; comme de vrai, il semble que nous n'avons autre mire de la vérité et de la raison que l'exemple et idée des opinions et usances du pays où nous sommes. Là est toujours la parfaite religion, la parfaite police, parfait et accompli usage de toutes choses. Ils sont sauvages, de même que nous appelons sauvages les fruits que nature, de soi et de son progrès ordinaire, a produits : là où, à la vérité, ce sont eux que nous avons altérés par notre artifice et détournés de l'ordre commun, que nous devrions appeler plutôt sauvages. En ceux-là sont vives et vigoureuses les vraies et plus utiles et naturelles vertus et propriétés, lesquelles nous avons abâtardies en ceux-ci, et les avons seulement accommodées au plaisir de notre goût corrompu. Et si pourtant, la saveur même et délicatesse se trouve à notre goût excellente, à l'envi des nôtres, en divers fruits de ces contrées-là sans culture. Ce n'est pas raison que l'art gagne le point d'honneur sur notre grande et puissante mère Nature. Nous avons tant rechargé la beauté et richesse de ses ouvrages par nos inventions que nous l'avons du tout étouffée. Si est-ce que, partout où sa pureté reluit, elle fait une merveilleuse honte à nos vaines et frivoles entreprises,


Et veniunt ederae sponte sua melius,

Surgit et in solis formosior arbutus antris,

Et volucres nulla dulcius art canunt.*


Tous nos efforts ne peuvent seulement arriver à représenter le nid du moindre oiselet, sa contexture, sa beauté et l'utilité de son usage, non pas la tissure de la chétive araignée. Toutes choses, dit Platon, sont produites par la nature ou par la fortune, ou par l'art ; les plus grandes et plus belles, par l'une ou l'autre des deux premières ; les moindres et imparfaites, par la dernière.

Ces nations me semblent donc ainsi barbares, pour avoir reçu fort peu de leçon de l'esprit humain, et être encore fort voisines de leur naïveté originelle. Les lois naturelles leur commandent encore, fort peu abâtardies par les nôtres; mais c'est en telle pureté, qu'il me prend quelquefois déplaisir de quoi la connaissance n'en soit venue plus tôt, du temps qu'il y avait des hommes qui en eussent su juger mieux que nous.


*Properce, poète latin du Ier siècle av.J.-C.) :

"Le lierre vient mieux quand il vient de lui-même,

L'arbouse croît plus belles aux antres solitaires

Et les oiseaux sans art n'en ont qu'un chant plus doux"


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Montaigne, "Des cannibales", Essais, I, XXXI, 1588-1592 : "Or, je trouve, pour revenir à mon propos" à "les moindres et imparfaites, par la dernière."

2ème axe :

Objet d'étude n°1 : l'argumentation sous la forme d'un essai (GENRE DU TEXTE : la littérature des idées)

2ème axe de lecture de la thèse de Montaigne : un blâme

( dimension critique du texte)

Un discours argumentatif dont la rhétorique se met au service d'une thèse :

La relativité des coutumes et des jugements

Cette thèse est une antithèse :

Montaigne s'élève contre les idées reçues (les préjugés)

Littérature et altérité de L'Humanisme aux Lumières : "L'autre, un sujet en question"

en perspective croisée avec les mouvement des "Lumières"


Retrouvez la légende de mots et expressions mis en couleur dans ce texte, pour identifier les procédés d'écriture, puis proposez un relevé organisé en vue d'une interprétation de ces convergences d'effets rhétoriques : étude de l'énonciation, des champs lexicaux et des figures de style, de la syntaxe et de la logique argumentative qu'elle induit.


* Repérez particulièrement les connecteurs logiques et les modalisateurs de jugement, les restrictions négatives, les comparaisons et les oppositions syntaxiques pour observer le renversement terminologique et logique opéré par l'essayiste.


Or, je trouve, pour revenir à mon propos, qu'il n'y a rien de barbare et de sauvage en cette nation, à ce qu'on m'en a rapporté, sinon que chacun appelle barbarie ce qui n'est pas de son usage ; comme de vrai, il semble que nous n'avons autre mire de la vérité et de la raison que l'exemple et idée des opinions et usances du pays où nous sommes. est toujours la parfaite religion, la parfaite police, parfait et accompli usage de toutes choses. Ils sont sauvages, de même que nous appelons sauvages les fruits que nature, de soi et de son progrès ordinaire, a produits : là où, à la vérité, ce sont eux que nous avons altérés par notre artifice et détournés de l'ordre commun, que nous devrions appeler plutôt sauvages. En ceux-là sont vives et vigoureuses les vraies et plus utiles et naturelles vertus et propriétés, lesquelles nous avons abâtardies en ceux-ci, et les avons seulement accommodées au plaisir de notre goût corrompu. Et si pourtant, la saveur même et délicatesse se trouve à notre goût excellente, à l'envi des nôtres, en divers fruits de ces contrées-là sans culture. Ce n'est pas raison que l'art gagne le point d'honneur sur notre grande et puissante mère Nature. Nous avons tant rechargé la beauté et richesse de ses ouvrages par nos inventions que nous l'avons du tout étouffée. Si est-ce que, partout où sa pureté reluit, elle fait une merveilleuse honte à nos vaines et frivoles entreprises


Et veniunt ederae sponte sua melius,

Surgit et in solis formosior arbutus antris,

Et volucres nulla dulcius art canunt.*


Tous nos efforts ne peuvent seulement arriver à représenter le nid du moindre oiselet, sa contexture, sa beauté et l'utilité de son usage, non pas la tissure de la chétive araignée. Toutes choses, dit Platon, sont produites par la nature ou par la fortune, ou par l'art ; les plus grandes et plus belles, par l'une ou l'autre des deux premières ; les moindres et imparfaites, par la dernière.


[Ces nations me semblent donc ainsi barbares, pour avoir reçu fort peu de leçon de l'esprit humain, et être encore fort voisines de leur naïveté originelle. Les lois naturelles leur commandent encore, fort peu abâtardies par les nôtres; mais c'est en telle pureté, qu'il me prend quelquefois déplaisir de quoi la connaissance n'en soit venue plus tôt, du temps qu'il y avait des hommes qui en eussent su juger mieux que nous.]


*Properce, poète latin du Ier siècle av.J.-C.) :

"Le lierre vient mieux quand il vient de lui-même,

L'arbouse croît plus belles aux antres solitaires

Et les oiseaux sans art n'en ont qu'un chant plus doux"



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3ème axe (ou conclusion) :


Objet d'étude n°1 : l'argumentation => 3ème lecture : un éloge

Un discours rhétorique au service d'une thèse :

un éloge de la "Nature"

(cf. débat : nature / culture; art ; artifice)

Une thèse paradoxale qui s'appuie sur un renversement des perspectives terminologiques et des idées reçues pour remettre en cause les acquisitions de la civilisation du "vieux monde" et célèbrer, à travers l'apologie du "bon sauvage", l'état de nature avec notamment l'allégorie :

notre grande et puissante mère Nature


Montaigne, "Des cannibales", Essais, I, XXXI, 1588-1592 - DESCRIPTIF : BAC BLANC (1er trimestre 2010) – 1ère ES 1 - LD Loquet -

Objet d'étude n°1 : l'argumentation

Un éloge de l'état de Nature

Une thèse paradoxale qui repose sur une remise en question terminologique et éthique des idées reçues


Littérature et altérité de L'Humanisme aux Lumières : "L'autre, un sujet en question"

en perspective croisée avec les mouvement des "Lumières"

    Montaigne, "Des cannibales", Essais, I, XXXI, 1588-1592 : "Or, je trouve, pour revenir à mon propos" à "les moindres et imparfaites, par la dernière."


Or, je trouve, pour revenir à mon propos, qu'il n'y a rien de barbare et de sauvage en cette nation, à ce qu'on m'en a rapporté, sinon que chacun appelle barbarie ce qui n'est pas de son usage ; comme de vrai, il semble que nous n'avons autre mire de la vérité et de la raison que l'exemple et idée des opinions et usances du pays où nous sommes. Là est toujours la parfaite religion, la parfaite police, parfait et accompli usage de toutes choses. Ils sont sauvages, de même que nous appelons sauvages les fruits que nature, de soi et de son progrès ordinaire, a produits : là où, à la vérité, ce sont eux que nous avons altérés par notre artifice et détournés de l'ordre commun, que nous devrions appeler plutôt sauvages. En ceux-là sont vives et vigoureuses les vraies et plus utiles et naturelles vertus et propriétés, lesquelles nous avons abâtardies en ceux-ci, et les avons seulement accommodées au plaisir de notre goût corrompu. Et si pourtant, la saveur même et délicatesse se trouve à notre goût excellente, à l'envi des nôtres, en divers fruits de ces contrées-là sans culture. Ce n'est pas raison que l'art gagne le point d'honneur sur notre grande et puissante mère Nature. Nous avons tant rechargé la beauté et richesse de ses ouvrages par nos inventions que nous l'avons du tout étouffée. Si est-ce que, partout où sa pureté reluit, elle fait une merveilleuse honte à nos vaines et frivoles entreprises,


Et veniunt ederae sponte sua melius,

Surgit et in solis formosior arbutus antris,

Et volucres nulla dulcius arte canunt.*


Tous nos efforts ne peuvent seulement arriver à représenter le nid du moindre oiselet, sa contexture, sa beauté et l'utilité de son usage, non pas la tissure de la chétive araignée. Toutes choses, dit Platon, sont produites par la nature ou par la fortune, ou par l'art ; les plus grandes et plus belles, par l'une ou l'autre des deux premières ; les moindres et imparfaites, par la dernière.


Ces nations me semblent donc ainsi barbares, pour avoir reçu fort peu de leçon de l'esprit humain, et être encore fort voisines de leur naïveté originelle. Les lois naturelles leur commandent encore, fort peu abâtardies par les nôtres; mais c'est en telle pureté, qu'il me prend quelquefois déplaisir de quoi la connaissance n'en soit venue plus tôt, du temps qu'il y avait des hommes qui en eussent su juger mieux que nous.



*Properce, poète latin du Ier siècle av.J.-C.) :

"Le lierre vient mieux quand il vient de lui-même,

L'arbouse croît plus belles aux antres solitaires

Et les oiseaux sans art n'en ont qu'un chant plus doux"








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Problématique : il est question de remettre en cause les qualificatifs péjoratifs associés au soi-disant "Cannibales" : cf titre du chapitre


Une délibération est-elle possible ?


Exercice d'entraînement à l'exercice d'invention :

Vous proposerez une réfutation de la thèse de Montaigne


[C'est la contradiction qui donne la vie en littérature", Balzac]




"Je ne peins pas l'être, je peins le passage", Montaigne, Essais, Livre III, chapitre II, "Du repentir"

LE PORTRAIT - Le portrait d'Arrias, La Bruyère, 1688


QUID ?

Un portrait (moral, en paroles et en action) :

Question : ce portrait peut-il être considéré comme un apologue ?

QUIS ?

Qui est Arrias ?

Quelles sont les lignes de force de ce portrait ?

Ce portrait représente-t-il un éloge ou un blâme ?

Qui est La Bruyère ?

En quoi ce portrait est-il représentatif du Classicisme ?




Jean de La Bruyère, Les Caractères


Le portrait d'Arrias, La Bruyère, 1688 (p. 328) - Rappel de 2de4 (2009-2010)

Littérature et engagement : l'éloge et le blâme
Portraits à travers les âges et les genres littéraires (Séquence 23 - pp. 323-351)


Comment la narration contribue-t-elle à l'argumentation dans ce portrait ?

Ce portrait peut-il être considéré comme un apologue ?


Arrias a tout lu, a tout vu, il veut le persuader ainsi ; c'est un homme universel, et il se donne pour tel : il aime mieux mentir que de se taire ou de paraître ignorer quelque chose. On parle à la table d'un grand d'une cour du Nord : il prend la parole, et l'ôte à ceux qui allaient dire ce qu'ils en savent ; il s'oriente dans cette région lointaine comme s'il en était originaire ; il discourt des moeurs de cette cour, des femmes du pays, de ses lois et de ses coutumes ; il récite des historiettes qui y sont arrivées ; il les trouve plaisantes, et il en rit le premier jusqu'à éclater. Quelqu'un se hasarde de le contredire, et lui prouve nettement qu'il dit des choses qui ne sont pas vraies. Arrias ne se trouble point, prend feu au contraire contre l'interrupteur : "Je n'avance, lui dit-il, je ne raconte rien que je ne sache d'original : je l'ai appris de Sethon, ambassadeur de France en cette cour, revenu à Paris depuis quelques jours, que je connais familièrement, que j'ai fort interrogé, et qui ne m'a caché aucune circonstance." Il reprenait le fil de sa narration avec plus de confiance qu'il ne l'avait commencée, lorsqu'un des conviés lui dit : "C'est Sethon à qui vous parlez, lui-même, et qui arrive de son ambassade."

*****


Comment La Bruyère induit-il le blâme dans ce portrait ?

(Comment la narration contribue-t-elle à l'argumentation dans ce portrait de La Bruyère ?)


I. Un portrait en paroles et en actions : la stratégie du détour de l'apologue => une caricature


II. L'expression du blâme au siècle "classique" => une satire


ETRE et PARAITRE (dialectique)




I. Un portrait en paroles et en actions : la stratégie du détour de l'apologue => une caricature

Une argumentation indirecte : la stratégie du détour d'un portrait en action

QUID ? UN PORTRAIT
(un portrait en paroles, en action et en situation => l'apologue)

QUIS ?
Qui est Arrias ?
Qui est La Bruyère ?


*****

I. LE PORTRAIT : QUI EST ARRIAS ?



1. Le portrait : quel est le personnage principal de ce texte ?

Une argumentation indirecte : la stratégie du détour d'un portrait en action

Quels sont les autres personnages en présence ?

De qui est-il question ?

Qui est Séthon ?


Arrias a tout lu, a tout vu, il veut le persuader ainsi ; c'est un homme universel, et il se donne pour tel : il aime mieux mentir que de se taire ou de paraître ignorer quelque chose. On parle à la table d'un grand d'une cour du Nord : il prend la parole, et l'ôte à ceux qui allaient dire ce qu'ils en savent ; il s'oriente dans cette région lointaine comme s'il en était originaire ; il discourt des moeurs de cette cour, des femmes du pays, de ses lois et de ses coutumes ; il récite des historiettes qui y sont arrivées ; il les trouve plaisantes, et il en rit le premier jusqu'à éclater. Quelqu'un se hasarde de le contredire, et lui prouve nettement qu'il dit des choses qui ne sont pas vraies. Arrias ne se trouble point, prend feu au contraire contre l'interrupteur : "Je n'avance, lui dit-il, je ne raconte rien que je ne sache d'original : je l'ai appris de Sethon, ambassadeur de France en cette cour, revenu à Paris depuis quelques jours, que je connais familièrement, que j'ai fort interrogé, et qui ne m'a caché aucune circonstance." Il reprenait le fil de sa narration avec plus de confiance qu'il ne l'avait commencée, lorsqu'un des conviés lui dit : "C'est Sethon à qui vous parlez, lui-même, et qui arrive de son ambassade."




*****


2. Un apologue* : un portrait en paroles et en actions

* un apologue : court récit destiné à illustrer une morale

Comment ce portrait est-il composé ?


La variété des discours :

Le discours descriptif
Le discours narratif
Le discours direct : le dialogue


Arrias a tout lu, a tout vu, il veut le persuader ainsi ; c'est un homme universel, et il se donne pour tel : il aime mieux mentir que de se taire ou de paraître ignorer quelque chose.

On parle à la table d'un grand d'une cour du Nord : il prend la parole, et l'ôte à ceux qui allaient dire ce qu'ils en savent ; il s'oriente dans cette région lointaine comme s'il en était originaire ; il discourt des moeurs de cette cour, des femmes du pays, de ses lois et de ses coutumes ; il récite des historiettes qui y sont arrivées ; il les trouve plaisantes, et il en rit le premier jusqu'à éclater.

Quelqu'un se hasarde de le contredire, et lui prouve nettement qu'il dit des choses qui ne sont pas vraies.

Arrias ne se trouble point, prend feu au contraire contre l'interrupteur : "Je n'avance, lui dit-il, je ne raconte rien que je ne sache d'original : je l'ai appris de Sethon, ambassadeur de France en cette cour, revenu à Paris depuis quelques jours, que je connais familièrement, que j'ai fort interrogé, et qui ne m'a caché aucune circonstance."

Il reprenait le fil de sa narration avec plus de confiance qu'il ne l'avait commencée,

lorsqu'un des conviés lui dit : "C'est Sethon à qui vous parlez, lui-même, et qui arrive de son ambassade."



"Amant alternae Camenae"


*****



3. La caricature : la morale de ce portrait sous forme d'apologue *


* rappel : un apologue est un court récit destiné à illustrer une morale

Quel défaut La Bruyère met-il en évidence ?

(p.328 n° 1)


De quel(s) autre(s) défaut(s) est-il question ?

Quelles sont les lignes de force de cette caricature ?

Quel est le principal défaut du personnage ?



Arrias a tout lu, a tout vu, il veut le persuader ainsi ; c'est un homme universel, et il se donne pour tel : il aime mieux mentir que de se taire ou de paraître ignorer quelque chose.


On parle à la table d'un grand d'une cour du Nord : il prend la parole, et l'ôte à ceux qui allaient dire ce qu'ils en savent ; il s'oriente dans cette région lointaine comme s'il en était originaire ; il discourt des moeurs de cette cour, des femmes du pays, de ses lois et de ses coutumes ; il récite des historiettes qui y sont arrivées ; il les trouve plaisantes, et il en rit le premier jusqu'à éclater.

Quelqu'un se hasarde de le contredire, et lui prouve nettement qu'il dit des choses qui ne sont pas vraies.

Arrias ne se trouble point, prend feu au contraire contre l'interrupteur : "Je n'avance, lui dit-il, je ne raconte rien que je ne sache d'original : je l'ai appris de Sethon, ambassadeur de France en cette cour, revenu à Paris depuis quelques jours, que je connais familièrement,que j'ai fort interrogé, et qui ne m'a caché aucune circonstance."


Il reprenait le fil de sa narration avec plus de confiance qu'il ne l'avait commencée,

lorsqu'un des conviés lui dit : "C'est Sethon à qui vous parlez, lui-même, et qui arrive de son ambassade."



"in cauda venenum" *


* Tartuffe, I, 4 ("Et je vais annoncer à Madame"...) : l'art de la chute



Conclusion partielle du 1er axe de lecture : une argumentation indirecte efficace

La dramaturgie persuasive de l'apologue au service d'une morale : un récit plaisant (le registre ironique) et "enlevé" ; l'art de la caricature (la convergence des effets : lignes de force), de la concision et de la chute (rythme rapide)

=> L'ironie (dramatique)


"Instruire et plaire"



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II. L'expression du blâme au siècle "classique"

(p. 328 n° 4, 5 et 6)


CUR ?

Le portrait d'Arrias, La Bruyère, 1688 (p. 328)

ETRE et PARAITRE (dialectique)


Littérature et engagement : l'éloge et le blâme


Portraits à travers les âges et les genres littéraires (Séquence 23 - pp. 323-351)


Comment La Bruyère induit-il le blâme dans ce portrait ?

  1. Un portrait en paroles et en actions : la stratégie du détour de l'apologue => une caricature

  2. L'expression du blâme au siècle "classique" => une satire



Qui est La Bruyère ?

cf. La querelle des Anciens et des Modernes


1. Une dénonciation des excès par la caricature :

l'hyperbole ironique, l'ironie dramatique

(le registre comique : les comiques de situation et de caractère)


2. Un portrait satirique : une dénonciation de l'anti-"honnête homme"

"libido sciendi" et "libido dominendi"


"Castigat ridendi mores"


3. Le "style classique" du "grand siècle" : "le vieux style"


L'art de la composition (la "dispositio")

L'art de la concision : asyndète et litote :

* asyndète : absence de liaison

du grec (étymologie : a- privatif ; syn- : ensemble ; dète : lié)

Figure fondée sur la suppression des liens logique dans une phrase.


* litote : dire peu pour suggérer beaucoup


un maximum d'effets avec un minimum de moyen

"Intelligenti pauca"

cf. LA CONGLOBATION : www.tempoepoesie.blogspot.com


*****


Ouverture : dialectique de l'être et du paraître


=> L'ARGUMENTATION : l'essai, le dialogue, l'apologue

"L'autre, un sujet en question de l'Humanisme aux Lumières"

=>

LES MOUVEMENTS LITTERAIRES

LES GENRES : LE ROMAN x LE THEATRE x LA POESIE

Le roman et ses personnages : visions de l'homme et du monde

Le dialogue théâtral : "un champ de forces", Antoine Vitez

Fonctions du poète et de la poésie : poésie et déchiffrement du monde


Qu'est-ce qu'une "belle personne"* au XVIIème siècle ?


* La Princesse de Clèves, Madame de La Fayette

"Sil se vante, je l'abaisse ; s'il s'abaisse, je le vante ; et je le contredis toujours, jusqu'à ce qu'il comprenne qu'il est un monstre incompréhensible"

Pascal, Pensées



Une enquête sur la place du sujet dans l'histoire des représentations :

www.tempoemythe.blogspot.com
www.tempoestyle.blogspot.com



=> correction du devoir d'invention
: "Je me reconnais (ou je refuse de me reconnaître) dans la démesure..."