L"hybris" : du héros cornélien au héros racinien - Le monologue délibératif

Didactique – Les monologues tragiques : complément de correction de la réponse à la question sur le corpus


Todorov le qualifie de “ projection de la forme exclamative ” , pour Benveniste, le monologue est un dialogue intériorisé


Corpus de textes :

Corneille, Horace (1640), acte III, scène 1

Corneille, Cinna (1641), acte I, scène 1

Racine, Andromaque (1667), acte V, scène 1

Racine, Bajazet (1672), acte IV, scène 4


De l'héroïsme cornélien au pessimisme racinien; s'interroger sur leur “ influence ” sur le cours de l'action à partir de cette définition de la mauvaise foi sartrienne : Quand je délibère, les jeux sont faits ”.


Commencer par souligner l'unité générique, temporelle, thématique du corpus : l'amour contre une autre force (conflit intérieur)

Cohérence générique et typologique : les quatre pages sont des extraits de tragédies à caractère délibératif.

Définir "le tragique" et la tragédie et relier cette réflexion au caractère rhétorique de ces quatre extraits.


I - La dimension dialogique du monologue : y a-t-il débat intérieur ? Dilemme ?

Le conflit intérieur chez Corneille

Dégager la solitude des héroïnes, le conflit tragique.

Inscrire le corpus dans une problématique de lecture et de langue : la question du temps (entre passé trop lourd et avenir impossible).; enchaînement des textes de Corneille et de Racine ; progression convaincante ; soulignement de l'unité générique, temporelle, thématique du corpus : . Distinction faite entre genre et registre.

Les quatre extraits donnent à lire des monologues, situés à des moments clés (exposition, noeud, montée des périls, dénouement) de la tragédie classique. Enoncés par quatre héroïnes amoureuses, ils mettent en jeu des sentiments et des relations de pouvoir aux autres. Notons que les quatre amantes appartiennent à des familles dont les liens avec le pouvoir politique sont très forts, ou occupent une position politique éminente.

Les trois derniers monologues entretiennent entre eux des correspondances : la femme amoureuse va t elle “ exposer ” son amant à la mort (Cinna), voire ordonner sa mort (Andromaque, Bajazet) ? Les deux monologues cornéliens mettent en jeu un conflit entre l'amant et le père ; chez Racine, les deux héroïnes préfèrent choisir la mort de l'amant plutôt que de le voir appartenir à une autre.


II - Fonction lyrique, fonction dramaturgique d'une "pensée parlée" : un artifice de représentation ? une "projection de la forme exclamative", Todorov ; un dialogue intériorisé pour Benveniste

    La dramaturgie classique en France (Nizet 1959) de Jacques Schérer :

La fonction essentielle d'un monologue est de permettre l'expression lyrique d'un sentiment. En échappant à ses interlocuteurs, le personnage échappe à la nécessité de dissimuler ou celle de respecter certaines bienséances, et il peut dire les élans de son coeur. Le monologue permet au dramaturge, non seulement de faire connaître les sentiments de son héros facilité que lui offre tout dialogue mais de les chanter. (... ) A la fonction lyrique du monologue s'en ajoute parfois une autre. L'expression des sentiments peut ne modifier en rien la situation psychologique du personnage qui monologue : une lamentation est stérile si le héros se retrouve à la fin dans le même état qu'au début. Il en est souvent ainsi. Mais quelquefois aussi, ce retour sur soi même qu'est le monologue fait découvrir une issue ; si le chant n'est pas gratuit, s'il est aussi analyse et réflexion, il peut aboutir à une solution. Le monologue conduisant à une décision devient ainsi un élément de l'intrigue au même titre qu'une scène d'action dialoguée. Des tendances qui luttent dans le personnage isolé, l'une prend le dessus( ...)”

Le monologue peut encore avoir, tout au moins jusque vers 1650, une dernière fonction. Celui qui le prononce peut faire connaître un fait, non seulement au spectateur, mais aussi à un personnage qui, en se dissimulant, l'écoute. II est superflu de souligner l'artifice du procédé : c'est déjà une convention que de présenter au spectateur une pensée parlée, c'en est une moins vraisemblable encore que de supposer ces paroles fictives assez distinctement prononcées pour être entendues par un autre personnage. ”.

Aux fonctions, aux formes du monologue, il convient d'ajouter pour s'approcher d'une définition complète une réflexion sur la singularité énonciative du procédé. Convention théâtrale communément admise et pratiquée, le monologue relève d'un statut paradoxal de la prise de parole : parler tout haut, tout seul. Tous les théoriciens ont voulu en réduire l'usage, au nom de la vraisemblance, et ne l'admettent que s'il est passionné, et proféré sous le coup d'une émotion.

Dans L'univers du théâtre (PUF 1978) quelques unes des particularités du monologue sont ainsi exprimées : “ la principale pourrait être de donner accès à la pensée d'une “ personne ” disposant de la liberté d'expression que lui confère le fait d'être seule. C'est par convention que la parole du monologuiste est proférée ; la médiation des paroles est censée absente et le spectateur jouit d'une emprise plus directe sur le déroulement du “ monologue intérieur ”. Plus que le dialogue peut être, le monologue peut contribuer à révéler le personnage de l'intérieur, à faire mesurer la distance séparant les intentions, les tropismes, la pensée en gestation de la parole ”. Todorov le qualifie de “ projection de la forme exclamative ” (in Les registres de la parole, Journal de psychologie n° 3, 1967).

Enfin chacun note comment le dialogue fait souvent entendre un véritable dialogue, voire une polyphonie, quand le “ je ” se dédouble ou se décompose en différentes instances énonciatives, soit pour donner plus de vie à la scène, plus d'intensité dramatique au dilemme, soit pour exprimer les tourments d'un être divisé. De fait, pour Benveniste, le monologue est un dialogue intériorisé, formulé en langage intérieur entre un moi locuteur et un moi écouteur : “ Parfois, le moi locuteur est seul à parler ; le moi écouteur reste néanmoins présent ; sa présence est nécessaire et suffisante pour rendre signifiante l'énonciation du moi locuteur. Parfois aussi le moi écouteur intervient par une objection, une question, un doute, une insulte ” (article “ monologue ” du Dictionnaire du théâtre de Pavis ( Dunod, 1996).


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Racine, Britannicus, II, 6 (1669) : une scène majeure (pivot) de la tragédie - LD Loquet -

Quel est l’intérêt dramatique de cette scène ? Une situation de communication faussée qui fait néanmoins avancer l’action

Le théâtre de la cruauté de Racine : cette scène de retrouvailles des 2 amants relève-t-elle du « topos » du duo amoureux ? Déterminante, elle resserre le nœud tragique et scelle le destin du héros éponyme sacrifié pour l’édification du spectateur.



I. Une situation de communication contrainte : « un champ de forces »

Les retrouvailles des deux amants : un dialogue amoureux ? Un dialogue générateur de malaise

[analyse du dialogue de théâtre]


1er constat :

3 répliques assez longues de B (dont une tirade)/ laconisme de J (3 répliques courtes)

Disproportion et contraste : entre l’expressivité de l’un et le laconisme de l’autre : pourquoi ?


 Enquête : que révèle ce dialogue ? Polysémie des interprétations, cf. blog : Roland Barthes


1. Un amoureux exemplaire ? Du discours galant au dépit amoureux :


L’élan passionné du héros : élan amoureux ou impétuosité immature ?


Premières observations (Sa) :

L’élan brisé de Britannicus : élément perturbateur/rupture ( « ligne de faille » ) à partir du vers 707 :

1ère tirade :

de l’exaltation joyeuse et empressée à l’étonnement ; puis, de l’étonnement au mécontentement : 2 séries d’exclamatives dont le sens de l’une est équivoque (pour qui exactement ?) l’autre explicite (surprise et reproche : recul dans le jeu du personnage).

Enfin il essaie de rassurer Junie : il prend sa réserve pour de la crainte (quiproquo). Effectivement, Junie a peur, mais il devrait lui aussi se méfier…

2ème tirade : après une invitation de Junie à la méfiance (double langage)

une série d’interrogatives teintées de reproches : Britannicus trouve Junie timorée. Il se compromet aux yeux de Néron en faisant état du complot armé contre le tyran pour rassurer la jeune fille.

3ème tirade : après une interruption de Junie qui tente de rattraper les propos imprudents de Britannicus (mais le héros n’entend toujours pas les avertissements de la jeune fille) :

Reproches et jalousie : quiproquo (victime de sa passion, Britannicus est aveugle et sourd aux avertissements de Junie : il interprète mal sa froideur, sa réserve et l’éloge que la jeune fille fait de leur persécuteur pour limiter la portée des propos imprudents de son fiancé et le sauver.


2. Une héroïne exemplaire : le sacrifice de Junie

2ème série d’observations : contraste entre l’élan amoureux, l’expressivité de Britannicus et la froideur, la réserve de sa fiancée (proportion des répliques : tirade du héros ; composition de la scène ; ponctuation et champs lexicaux)

Junie embarrassée par la présence de Néron est obligée d’utiliser un double langage avec notamment la métonymie des yeux des murs personnifiés (autrement dit, tout le palais de l’empereur) : elle essaie de prévenir le jeune homme du danger qu’il court en s’exprimant ainsi librement dans le palais de son rival politique et amoureux. Elle l’invite à se méfier, dans leur intérêt à tous deux : ils sont en danger.

Dilemme de la jeune fille : si elle répond à son amour, elle le perd, si elle le fuit, elle le blesse. Elle choisit de fuir le dialogue et son regard, et reste de marbre devant la déclaration fougueuse de son fiancé.

Junie incarne l’idéal classique de modération, de mesure et d’équilibre, de contrôle de soi…

Elle offre un exemple de courage et d’intelligence stratégique : le spectateur assiste à ses efforts désespérés pour faire entendre raison à celui qu’elle aime. Elle offre l’exemple du dévouement amoureux, du dépassement généreux de la souffrance personnelle. Elle prend des risques mesurés. Elle fait preuve de fermeté et de persuasion : elle va jusqu’à mentir dans sa 3ème réplique pour réduire la portée des bravades imprudentes de Britannicus (v. 724-727 : « Ah ! Seigneur, vous parlez contre votre pensée./Vous-même, vous m’avez avoué mille fois/ Que Rome le louait d’une commune voix ;/Toujours à sa vertu vous rendiez quelque hommage./ Sans oute la douleur vous dicte ce langage. »)

En vain…

Britannicus va trop loin dans sa dernière tirade, irrémédiablement compromis. Aussi est-elle obligée de rompre l’entretien…



3. Un faux dialogue : « un champ de forces » mais y a-t-il dialectique de la rencontre ?


Britannicus, emporté par sa passion, presse Junie de questions sans lui laisser le temps de répondre. La jeune fille utilise un double langage : elle ne répond pas directement à Britannicus : peut-on parler d’un dialogue de sourds ? de quiproquo ? Le héros n’a pas su interpréter les signes d’avertissement de la JF : il s’est irrémédiablement compromis aux yeux du tyran, son rival.

Le quiproquo qui en résulte fait également souffrir les deux jeunes gens et le public assiste avec « terreur et pitié », selon le vœu d’Aristote depuis les origines de la tragédie, à cette scène cruelle qui signe la perte du héros.

Qu’est ce qui fait l’originalité de ce dialogue ?

Comment fait-il avancer l’action dramatique ? (analyse des didascalies externes et internes).


Scène déterminante (pivot de la tragédie) : le noeud tragique se resserre. Le héros est perdu.


Le destin : « la forme accélérée du temps » ? Giraudoux, La Guerre de Troie n’aura pas lieu


comment cette scène entraîne-t-elle le héros à la catastrophe ?


1ère réponse : intérêt dramatique ? Elle fait avancer l’action : le héros s’est compromis aux yeux de l’empereur caché > précipitation vers la catastophe (III, 8 et fin tragique).


II. La cruauté du théâtre de Racine : une mise en abyme qui favorise l’ironie dramatique et précipite la chute du héros.

La condamnation des « passions » : dénonciation de l’ « hybris » par la « mimesis » et la « catharsis »)


1 . Une tragédie d’intrigue ? Une tragédie du pouvoir


L’impétuosité de la jeunesse imprudente : hyperboles, défis, bravades (v. 717-718)…

Champ lexical héroïque cornélien :

Dès le v. 701 de sa 1ère tirade : « l’honneur de mourir à vos yeux » (il fait signe au destin et invoque la mort au lieu de la vie: Thanatos/Eros) :il n’est pas dans une situation de dialogue amoureux, de vie… Orgueil et témérité du « bellator » (héros épique : de Roland au héros cornélien : « j’attaque en téméraire un bras toujours vainqueur »)… Il a « du cœur » au sens cornélien, mais aime-t-il ?

L’amour ne dicte-t-il pas la prudence ? n’invite-t-il pas à écouter et regarder la personne que l’on aime ? (cf. Tartuffe)…

Mais, Britannicus (pas plus qu’Orgon), n’écoute pas la voix des femmes (à la différence des chevaliers courtois : Tristan et Lancelot).

Présomption (« jeune présomptueux ») : il est trop sûr de lui.

« Parlez : nous sommes seuls. Notre ennemi trompé

Tandis que je vous parle est ailleurs occupé. »

Il fait preuve de condescendance et se veut protecteur alors que c’est lui qui se découvre et se met en danger :

« Et depuis quand, Madame, êtes-vous si craintive ? »

Il fait des reproches, donne des leçons à la jeune fille qui se montre aux yeux du spectateur bien supérieure à lui :

« Quoi ? déjà votre amour souffre qu’on le captive ?

Qu’est devenu ce coeur »

Il se place en situation de domination alors que c’est lui qui est réduit par la mise en abyme et l’ironie dramatique aux yeux de Junie, de Néron et du spectateur…

Il défie son rival, en mettant en cause Junie dont il rapporte les propos provocateurs : « Qu’est devenu ce cœur qui me jurait toujours / De faire à Néron même envier nos amours »

Le héros se compromet irrémédiablement en avertissant ce dernier du complot dont il est le chef, en compromettant Agrippine, la mère du tyran…


Une tragédie du pouvoir et de la corruption (cf. schéma actantiel) :

3 références au tyran (l’opposant) : « Notre ennemi trompé », v. 709) ; « l’ennemi dont je suis opprimé », v. 734.

Enseignement politique : Le spectateur reçoit une leçon de prudence (champ lexical de la souffrance, de la crainte et de la prudence ; analyse des imprudences du héros et des tentatives vaines de Junie pour réduire la portée de ses propos ; laconisme et discours biaisé de Junie), mais pas Britannicus : « Et depuis quand, Madame, êtes-vous si craintive ? ». (cf. analyse du champ lexical du regard)

« Qui nescit dissimulare, nescit regnare » (maxime favorite de Louis XI ; cf. Machiavel, Le Prince)


2. Le héros face à son destin tragique : une tragédie de caractère


Scène déterminante (pivot de la tragédie) : le héros éponyme, bouc-émissaire de la tragédie signe ici lui-même sa propre perte (la « machine infernale » du destin est en marche, le compte à rebours a commencé) : l’affrontement est inévitable (III, 8), le héros est désormais seul pour faire face à son destin. Il a commis l’irréparable (cf. champ lexical du regard).

Néron, le monstre tyrannique, double le dramaturge en tirant les ficelles de ce jeu cruel.

L’ironie dramatique : la perversité de Néron génératrice de malaise se diffuse de la scène à la salle et le spectateur devient « voyeur » à son tour, comme Junie qui se fait complice malgré elle de la perversité du tyran (mise en abyme : théâtre dans le théâtre) avec le metteur en scène de cette mise à mort lente féroce : le dramaturge.

La souffrance et la monstruosité deviennent spectacle dans le théâtre de Racine : le regard est agent de corruption (importance de ce champ lexical; cf. Phèdre)

« Hélas ! » : plainte élégiaque récurrente du théâtre de Racine où les sentiments humains n’ont aucune chance. La musique des alexandrins ajoute une touche supplémentaire de raffinement pervers à ce spectacle de la cruauté, « un souffle sur une plaie »

Champs lexicaux du regard et de la parole : les sens sont causes d’égarement.

L’interprétation erronée des signes par le héros souligne la difficulté des hommes à trouver leur salut sans l’aide de Dieu (« Misère de l’homme sans Dieu » , Pascal, cf. fiche sur le Jansénisme)


Problématique de l’être et du paraître dans le théâtre janséniste de Racine.

Le théâtre de Racine est-il janséniste ? (cf. critique des spectacles par Rousseau) : le trouble racinien


3. La dé-gradation du héros racinien :

Le sacrifice de l’innocence ? l’amour humain est-il possible ? (cf. Hippolyte et Aricie ; Iphigénie). Mais est-il question d’amour dans le théâtre janséniste de Racine ? Britannicus est-il exemplaire ?


Junie est admirable, mais le héros : pourquoi est-il sacrifié ?

Il est dé-gradé de son statut de héros cornélien par l’ironie dramatique

Il est dé-gradé de son statut de héros amoureux parce que la passion le rend aveugle et sourd.

Il manque de discernement et de prudence.

Il parle sans écouter. Il ne voit rien de ce qu’il devrait voir : la passion jalouse l’égare.

Il ne comprend rien : il interprète mal les signaux de détresse et d’avertissement de Junie (ses paroles à double sens, v. 713) et ses regards fuyants (v. 736-737).

Il est en décalage par rapport à Junie et aux circonstances : il s’exprime de façon galante et précieuse (v. 701 ; 704-705) et se donne même le ridicule de se montrer jaloux (v. 634 et 738), ce qui ne provoque pas le rire, bien sûr, parce que la tension tragique ne se prête pas à la détente.


Ironie dramatique : « Et depuis quand Madame êtes-vous si craintive ? »


Comment prendre au sérieux celui qui pose une question aussi déplacée ?

L’ironie dramatique discrédite le héros aux yeux du spectateur qui assiste sans pouvoir intervenir à cette situation de retrouvailles faussée par la triple énonciation : Junie est terrorisée et Britannicus ne sait pas qu’il signe son arrêt de mort.


Britannicus s’inquiète-t-il de Junie ? Il ne parle que de lui…

Récurrence de la 1ère personne : n’est-elle pas déplacée ? Britannicus ne devrait-il pas s’informer surtout de la situation de la jeune fille ?

« quel bonheur me rapproche de vous ? »

« Quoi ? je puis jouir d’un entretien si doux ? »

« M’avez-vous en secret adressé quelque plainte ? », v.704

« Ma princesse, avez-vous daigné me souhaiter ? »

Cette première série d’exclamatives n'est-elle pas ambiguë ? «Quelle nuit ! quel réveil ! » v. 699 : le héros se met-il à la place de la jeune fille. Il pourrait lui demander comment elle a vécu cet enlèvement et si elle s'en est remise, comment elle se sent...

cf. (« Quel accueil ! Quelle glace ! » v. 707)

De l’expressivité à l’impressivité, de l’inquiétude rétrospective au dépit amoureux :

De l’expression enthousiaste de la joie (champ lexical du bonheur et de la crainte mêlés ; interrogatives et exclamatives exprimant la fougue) il passe à l’étonnement devant la froideur de la jeune fille, puis à la colère et aux reproches : alors que Junie cherche seulement à l’avertir et à le protéger, il croit que Junie aime son rival.

Britannicus est-il innocent ? aime-t-il la jeune fille ou exprime-t-il seulement une passion amoureuse génératrice de haine et de destruction ? (certes moins condamnable que celle de Phèdre, mais une passion égoïste qui le condamne et le rend aveugle et sourd aux avertissements de la jeune fille, incapable de se préoccuper vraiment de ce qu’elle a pu ressentir elle , après avoir été enlevée en pleine nuit par le tyran : une passion qui l’amène à ne se préoccuper que de lui, à passer du dépit à la colère et à la jalousie )

Tout à sa joie de retrouver sa fiancée il n’entend par les avertissements de cette dernière. Il n’entend pas, il ne voit pas : la passion rend aveugle et sourd.

En proie à l’hybris, il se précipite vers sa bien-aimée et l’assaille de questions : vraies ou fausses questions ? amour ou passion ?

En fait, ses questions sont des questions rhétoriques : il n’attend aucune réponse et ne prête attention à la jeune fille pour enfin remarquer sa réserve qu’à partir du vers 707 : « Vous ne me dites rien ? ».

Comment Junie aurait-elle pu trouver l’occasion de placer un mot ?


1ère réplique : solitude du héros tragique face à son destin (il est seul, il n’est pas proche de Junie qu’il aabandonne implicitement à Néron). Britannicus se comporte comme un monomaniaque en proie à l’idée fixe, eemporté par ses passions. Obsédé par une passion destructrice, il se compromet aux yeux de l’empereur, abandonnant toute prudence et toute capacité à écouter celle qu’il prétend aimer. Progressivement, il entre en ffureur

Le théâtre de Racine donne à voir au spectateur les méfaits des passions humaines égoïstes : le sacrifice du héros est à présent consommé, le destin est en marche…

La « catharsis », qu’elle opère sur un mode tragique comme dans les tragédies de Racine ou sur un mode comique, tend à modifier les comportements et à amener les hommes à devenir plus raisonnables, suivant l’idéal de modération et d’équilibre de l’honnête homme ». L’ironie dramatique est le procédé le plus efficace pour réduire, dans la comédie comme dans la tragédie, les prétentions humaines et mortifier les passions provoquées par la vanité (l’ « hybris »). C’est par la caricature favorisée par la « vis comica » que Molière, dans son théâtre, dénonce les excès des hommes, en soulignant leurs ridicules : « Casdtigat ridendio mores » (« ne voilà pas de vos emportements » : à Alceste et à Orgon)… Dans la tragédie, c’est la mise à mort lente du repos avançant irrémédiablement vers sa propre destruction, sans même s’en rendre compte, alors même souvent qu’il se débat et croit se sauver sous les yeux du spectateur assistant à sa chute avec angoisse (terreur et pitié : compassion), jusqu’au sacrifice final qui l'édifie, horrifié par les monstruosités du cœur humain et les abîmes qu’il est peut-être amené à découvrir en lui-même, ouvrant les yeux sur sa propre complexité.

Ainsi, le théâtre joue un rôle pédagogique…



Problématique : Le théâtre de Racine est-il « janséniste » ?


Fin de l’article « Racine » du Dictionnaire, Robert des noms propres :

S’inscrivant contre la « galanterie » et le « romanesque », préférant aux intrigues complexes de Corneille la progression d’une évolution dramatique conduite par la logique des caractères, celle même de leur discours, substituant à l’ « admiration » suscitée par le héros, vainqueur des dieux et de lui-même, la pitié et l’horreur engendrés par son destin misérable, Racine a restitué à la scène tragique sa véritable dimension, celle que lui avait conférée les Grecs. En concevant la passion amoureuse comme une fatalité infernale, génératrice de haine et de destruction, en la présentant comme l’instinct le plus possessif et le plus égoïste de l’âme humaine, sans, toutefois, que ses misérables victimes n’entretiennent en elles-mêmes la nostalgie douloureuse d’une innocence perdue, Racine apparaît non seulement comme le meilleur disciple de Port-Royal, mais encore comme le véritable créateur de la tragédie française.