Candide ou l'optimisme, Voltaire : l'esprit des "Lumières"


Candide, Voltaire ( 1759) : chapitre troisième


Comment Candide se sauva d'entre les Bulgares, et ce qu'il devint



Rien n'était si beau, si leste, si brillant, si bien ordonné que les deux armées. Les trompettes, les fifres, les hautbois, les tambours, les canons, formaient une harmonie telle qu'il n'y en eut jamais en enfer. Les canons renversèrent d'abord à peu près six mille hommes de chaque côté ; ensuite la mousqueterie ôta du meilleur des mondes environ neuf à dix mille coquins qui en infectaient la surface. La baïonnette fut aussi la raison suffisante de la mort de quelques milliers d'hommes. Le tout pouvait bien se monter à une trentaine de mille âmes. Candide, qui tremblait comme un philosophe, se cacha du mieux qu'il put pendant cette boucherie héroïque.


Enfin, tandis que les deux rois faisaient chanter des Te Deum chacun dans son camp, il prit le parti d'aller raisonner ailleurs des effets et des causes. Il passa par-dessus des tas de morts et de mourants, et gagna d'abord un village voisin ; il était en cendres : c'était un village abare que les Bulgares avaient brûlé, selon les lois du droit public. Ici, des vieillards criblés de coups regardaient mourir leurs femmes égorgées, qui tenaient leurs enfants à leurs mamelles sanglantes ; là des filles éventrées après avoir assouvi les besoins naturels de quelques héros rendaient les derniers soupirs ; d'autres, à demi brûlés, criaient qu'on achevât de leur donner la mort. Des cervelles étaient répandues sur la terre à côté de bras et de jambes coupés.


Candide s'enfuit au plus vite dans un autre village : il appartenait à des Bulgares, et des héros abares l'avaient traité de même. Candide, toujours marchant sur des membres palpitants ou à travers des ruines, arriva enfin hors du théâtre de la guerre, portant quelques petites provisions dans son bissac, et n'oubliant jamais Mlle Cunégonde.


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Candide, Voltaire ( 1759) : chapitre troisième


1ère lecture : un conte

[une fiction narrative :"il était une fois Condide..."] => L'ACTION

une narration :

Les personnages : Candide et Cunégonde

Les temps du récit au passé : alternance passé simple/imparfait (plus-que-parfait)

Le passé simple : le temps du 1er plan du récit

L'imparfait : le temps du second plan (durée, description, habitude)

Les indices de personnes, de lieu et de temps

(connecteurs et modalisateurs, temps des verbes)

Les connecteurs temporels : "d'abord", "ensuite", "enfin" (2ème §), "enfin" (dernier §)


Comment Candide se sauva d'entre les Bulgares, et ce qu'il devint


Rien n'était si beau, si leste, si brillant, si bien ordonné que les deux armées. Les trompettes, les fifres, les hautbois, les tambours, les canons, formaient une harmonie telle qu'il n'y en eut jamais en enfer. Les canons renversèrent d'abord à peu près six mille hommes de chaque côté ; ensuite la mousqueterie ôta du meilleur des mondes environ neuf à dix mille coquins qui en infectaient la surface. La baïonnette fut aussi la raison suffisante de la mort de quelques milliers d'hommes. Le tout pouvait bien se monter à une trentaine de mille âmes. Candide, qui tremblait comme un philosophe, se cacha du mieux qu'il put pendant cette boucherie héroïque.


Enfin, tandis que les deux rois faisaient chanter des Te Deum chacun dans son camp, il prit le parti d'aller raisonner ailleurs des effets et des causes. Il passa par-dessus des tas de morts et de mourants, et gagna d'abord un village voisin ; il était en cendres : c'était un village abare que les Bulgares avaient brûlé, selon les lois du droit public. Ici, des vieillards criblés de coups regardaient mourir leurs femmes égorgées, qui tenaient leurs enfants à leurs mamelles sanglantes ; des filles éventrées après avoir assouvi les besoins naturels de quelques héros rendaient les derniers soupirs ; d'autres, à demi brûlés, criaient qu'on achevât de leur donner la mort. Des cervelles étaient répandues sur la terre à côté de bras et de jambes coupés.


Candide s'enfuit au plus vite dans un autre village : il appartenait à des Bulgares, et des héros abares l'avaient traité de même. Candide, toujours marchant sur des membres palpitants ou à travers des ruines, arriva enfin hors du théâtre de la guerre, portant quelques petites provisions dans son bissac, et n'oubliant jamais Mlle Cunégonde.


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Candide, Voltaire ( 1759) : chapitre troisième


1ère lecture : un conte (2ème étape)


une narration (les points de vue)

Le point de vue externe :

Présentation des deux armées (1er §)

Les actions du "héros" : la dernière phrase du 1er § et les § 2 et 3



Comment Candide se sauva d'entre les Bulgares, et ce qu'il devint



Rien n'était si beau, si leste, si brillant, si bien ordonné que les deux armées. Les trompettes, les fifres, les hautbois, les tambours, les canons, formaient une harmonie telle qu'il n'y en eut jamais en enfer. Les canons renversèrent d'abord à peu près six mille hommes de chaque côté ; ensuite la mousqueterie ôta du meilleur des mondes environ neuf à dix mille coquins qui en infectaient la surface. La baïonnette fut aussi la raison suffisante de la mort de quelques milliers d'hommes. Le tout pouvait bien se monter à une trentaine de mille âmes. Candide, qui tremblait comme un philosophe, se cacha du mieux qu'il put pendant cette boucherie héroïque.


Enfin, tandis que les deux rois faisaient chanter des Te Deum chacun dans son camp, il prit le parti d'aller raisonner ailleurs des effets et des causes. Il passa par-dessus des tas de morts et de mourants, et gagna d'abord un village voisin ; il était en cendres : c'était un village abare que les Bulgares avaient brûlé, selon les lois du droit public. Ici, des vieillards criblés de coups regardaient mourir leurs femmes égorgées, qui tenaient leurs enfants à leurs mamelles sanglantes ; là des filles éventrées après avoir assouvi les besoins naturels de quelques héros rendaient les derniers soupirs ; d'autres, à demi brûlés, criaient qu'on achevât de leur donner la mort. Des cervelles étaient répandues sur la terre à côté de bras et de jambes coupés.


Candide s'enfuit au plus vite dans un autre village : il appartenait à des Bulgares, et des héros abares l'avaient traité de même. Candide, toujours marchant sur des membres palpitants ou à travers des ruines, arriva enfin hors du théâtre de la guerre, portant quelques petites provisions dans son bissac, et n'oubliant jamais Mlle Cunégonde.


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Comment Candide se sauva d'entre les Bulgares, et ce qu'il devint



1er axe : la fiction fantaisiste du conte

le merveilleux pour un éloge apparent

Les registres épidictique, comique et pathétique (le point de vue du héros) :

"Poétique" du texte : un conte ?

Les principaux procédés d'écriture : sur-qualification, intensifs, anaphore, énumération, gradation, personnifications et point de vue externe, paronomase, euphémismes et hyperboles


Rien n'était si beau, si leste, si brillant, si bien ordonné que les deux armées. Les trompettes, les fifres, les hautbois, les tambours, les canons, formaient une harmonie telle qu'il n'y en eut jamais en enfer. Les canons renversèrent d'abord à peu près six mille hommes de chaque côté ; ensuite la mousqueterie ôta du meilleur des mondes environ neuf à dix mille coquins qui en infectaient la surface. La baïonnette fut aussi la raison suffisante de la mort de quelques milliers d'hommes. Le tout pouvait bien se monter à une trentaine de mille âmes. Candide, qui tremblait comme un philosophe, se cacha du mieux qu'il put pendant cette boucherie héroïque.


Enfin, tandis que les deux rois faisaient chanter des Te Deum chacun dans son camp, il prit le parti d'aller raisonner ailleurs des effets et des causes. Il passa par-dessus des tas de morts et de mourants, et gagna d'abord un village voisin ; il était en cendres : c'était un village abare que les Bulgares avaient brûlé, selon les lois du droit public. Ici, des vieillards criblés de coups regardaient mourir leurs femmes égorgées, qui tenaient leurs enfants à leurs mamelles sanglantes ; des filles éventrées après avoir assouvi les besoins naturels de quelques héros rendaient les derniers soupirs ; d'autres, à demi brûlés, criaient qu'on achevât de leur donner la mort. Des cervelles étaient répandues sur la terre à côté de bras et de jambes coupés.


Candide s'enfuit au plus vite dans un autre village : il appartenait à des Bulgares, et des héros abares l'avaient traité de même. Candide, toujours marchant sur des membres palpitants ou à travers des ruines, arriva enfin hors du théâtre de la guerre, portant quelques petites provisions dans son bissac, et n'oubliant jamais Mlle Cunégonde.


Candide, un héros* ?

* héros (au sens étymologique) : demi-dieu (Dionysos le bouc-émissaire)


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Comment Candide se sauva d'entre les Bulgares, et ce qu'il devint


2ème axe : la fonction didactique du conte philosophique ("critique")

Les registres épidictique, ironique et satirique

(le point de vue du narrateur : Candide, un héros ou un anti-héros ?)

Les principaux procédés d'écriture : antiphrases et litotes

[sur-qualification, intensifs, anaphore, énumération, gradation, personnifications et point de vue externe, paronomase, euphémismes et hyperboles ]

=> Une distorsion du réel pour un blâme (une dénonciation)


Rien n'était si beau, si leste, si brillant, si bien ordonné que les deux armées. Les trompettes, les fifres, les hautbois, les tambours, les canons, formaient une harmonie telle qu'il n'y en eut jamais en enfer. Les canons renversèrent d'abord à peu près six mille hommes de chaque côté ; ensuite la mousqueterie ôta du meilleur des mondes environ neuf à dix mille coquins qui en infectaient la surface. La baïonnette fut aussi la raison suffisante de la mort de quelques milliers d'hommes. Le tout pouvait bien se monter à une trentaine de mille âmes. Candide, qui tremblait comme un philosophe, se cacha du mieux qu'il put pendant cette boucherie héroïque.


Enfin, tandis que les deux rois faisaient chanter des Te Deum chacun dans son camp, il prit le parti d'aller raisonner ailleurs des effets et des causes. Il passa par-dessus des tas de morts et de mourants, et gagna d'abord un village voisin ; il était en cendres : c'était un village abare que les Bulgares avaient brûlé, selon les lois du droit public. Ici, des vieillards criblés de coups regardaient mourir leurs femmes égorgées, qui tenaient leurs enfants à leurs mamelles sanglantes ; là des filles éventrées après avoir assouvi les besoins naturels de quelques héros rendaient les derniers soupirs ; d'autres, à demi brûlés, criaient qu'on achevât de leur donner la mort. Des cervelles étaient répandues sur la terre à côté de bras et de jambes coupés.


Candide s'enfuit au plus vite dans un autre village : il appartenait à des Bulgares, et des héros abares l'avaient traité de même. Candide, toujours marchant sur des membres palpitants ou à travers des ruines, arriva enfin hors du théâtre de la guerre, portant quelques petites provisions dans son bissac, et n'oubliant jamais Mlle Cunégonde.


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Un mouvement littéraire et culturel : Les « Lumières » - Lecture intégrale de Candide, Voltaire (1758-1759) -

Voltaire, Candide, III : la critique de la guerre

« Comment Candide se sauva d’entre les Bulgares, et ce qu’il devint »


Le contexte historique : la guerre de 7 ans (de 1756 à 1763) qui oppose la France à L’Angleterre et à la Prusse correspond à l’actualité immédiate de Voltaire qui écrit Candide en un an, en 1758. Comme toutes les guerres, elle comprend son lot de cruautés : enrôlements forcés, châtiments corporels pour les soldats, massacres pour les populations civiles… Elle se solde par la perte des colonies indiennes et canadiennes de la France. Le conte philosophique, et plus particulièrement les chapitres II et III sont des réquisitoires contre la guerre. Le polémiste poursuivra sa critique dans l’article « Guerre » du Dictionnaire philosophique en 1764.


Bibliographie sur la guerre :

Eschyle, Les Perses (tragédie) ; Homère, L’iliade ; La Chanson de Roland => style héroïque, tradition épique : célébration des exploits guerriers

Œuvres critiques et/ou parodiques :

[+ les pièces historiques de Shakespeare ; « Fabrice à Waterloo », Stendhal, La Chartreuse ce Parme (1838) ; « Le Dormeur du val », « Guernica » ; Les Misérables : la bataille de Waterloo ; la chanson de Boris Vian : « Le déserteur » , Le Goûter des généraux (théâtre) ; Brecht, Mère courage ; Giraudoux, La Guerre de Troie n’aura pas lieu]

XVIème siècle : Rabelais auquel Voltaire se réfère (ne serait-ce qu’à travers le clin d’œil systématique des titres des chapitres de Candide) était pacifiste. C’est sur le modèle de l’écrivain humaniste de la Renaissance que l’auteur des Lumières parodie le style héroïque de l’épopée au chapitre III de Candide et, d’une manière plus générale, associe systématiquement l’humour (avec l’ironie et la fantaisie du conte : hyperréalisme et merveilleux) et la gravité des sujets, « choquant les mots comme des castagnettes » pour séduire le lecteur et l’instruire tout en déjouant la censure. Comme pour les philosophes des Lumières au XVIIIème siècle, les valeurs des Humanistes du XVIèmes siècle sont : la PAIX, l'EDUCATION ("Les Lumières"), l’ACTION (cf. l’éducation du chevalier Gargantua ).

La guerre picrocholine dans Gargantua est une parodie de la chevalerie. Rabelais dénonce sur un mode fantaisiste le caractère irresponsable des tyrans qui , comme Picrochole (personnage colérique, son nom signifiant « bile amère »), déclenchent des guerres sur le papier sans tenir compte des conséquences humaines.

Titres de Gargantua : « Le grand débat dont furent faites grosses guerres », chapitre XXV ; "Comment certains gouverneurs de Picrochole par conseil précipité, le mirent au dernier péril », chapitre 33 ; « Comment un moine de Seuillé sauva le clos de l’abbaye du sac des ennemis »


3 paramètres pour l’analyse des textes : Comment les idées de Voltaire sont-elles exprimées ?

I. En quoi ce texte est-il un apologue ? La fantaisie du conte philosophique et l’ironie voltairienne

II. Quelles sont les idées des « Lumières » qui y sont exprimées ? La dénonciation d’un fait de société

III. Le héros évolue-t-il ? Le parcours initiatique de Candide (« l’engano »)


Antimilitarisme et anticléricalisme de Voltaire (« Lumières » => PAIX- RAISON : esprit d’examen => fiche sur les idées religieuses et les limites du genre (l’apologue) et de la « philosophie » de Voltaire)


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Plan conseillé par l’IPR en 2004 pour le commentaire :

1er temps : le texte apparaît comme un éloge de la guerre (critère : harmonie de la description)

2ème temps : remise en cause de cette première lecture => la dénonciation de la guerre

3ème temps : mise à jour du projet argumentatif => les idées des « Lumières »

* Rappel : un parcours de lecture n’existe que s’il se construit : se rapporter à l’objet d’étude sans séparer « forme et fond » : proposer un sens.




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I. La beauté de la guerre : l’éloge apparent (ironie voltairienne : antiphrase)

Un éloge ironique : la guerre semble au début un beau spectacle et comme un orchestre aux yeux de Candide victime de ses illusions, émerveillé par une harmonie à la fois visuelle et auditive ainsi que l’expriment les deux premières phrases en focalisation interne : il est spectateur : il assiste à une parade militaire ( à un beau tableau), il écoute un orchestre symphonique (cf. Fabrice à Waterloo dans La Chartreuse de Parme de Stendhal au siècle suivant).

  • Le tableau : surqualification héroïque de l’armée : on se croirait devant une parade de soldats de plomb ou à la relève de la garde comme les adjectifs le suggèrent. La répétition ironique de l’adjectif « beau » (4 x) précédé chaque fois de l’intensif « si » produit une anaphore qui tend à unifier cette énumération pour reproduire le bel ordre de l’armée par une harmonie imitative. Cette mise en valeur faussement laudative est renforcée par le pronom indéfini hyperbolique « rien » placé en ouverture de chapitre : « Rien n’était si beau ». Le rythme progressif des adjectifs (« beau » : 1 syllabe ; « leste » : 1 syllabe avec le e muet, mais 2 pour l’œil ; « brillant » :2 ; « ordonné » : 3) contribue à l’éclat de ce tableau « héroïque » à la gloire militaire.

Ces effets sont, bien sûr, destinés à ridiculiser cette armée de pacotille qui ne brille que pour la parade mais qui se couche au premier feu, ainsi que le souligne l’adverbe de temps « d’abord » dès la 2ème phrase : « Les canons renversèrent d’abord à peu près six mille hommes de chaque côté » (cf. L’article « Guerre » du Dictionnaire philosophique).

  • L’orchestre : une audition harmonieuse succède au tableau avec une énumération d’instruments d’orchestre (4), du plus éclatant, la trompette au plus grave (le tambour). Et soudain, quand on attendait les timbales, ce sont les canons qui viennent rompre l’harmonie. Candide ne voit pas de discordance entre « tambours » et « canons »* jusqu’au mot « enfer »* qui provoque une rupture en fin de 2ème phrase sans que la suite du § ne change rien à la vision allègre et superficielle. * Les termes « canons » et « enfer » sont des indices de disharmonie.

Le décor est campé, l’attaque peut commencer.

  • Le rythme rapide : en 3 temps tout est dit (« d’abord » dans le premier paragraphe, « Enfin » au début du 2ème) et Candide prend la fuite. Après un présentation trop laudative pour être sincère dans les deux premières phrases (avec des effets d’annonce dans la deuxième comme le son du « canon » qui représente une anomalie dans l’orchestre avant de produire son effet destructeur dans la troisième, et la chute inquiétante : en enfer »), la débâcle dès la 3ème phrase avec l’action du canon (« d’abord ») suivi de « la mousqueterie » (« ensuite »), le tout secondé par « la baïonnette » (« aussi ») dans la 4ème, avant le carnage du 2ème paragraphe auquel assiste notre héros tout tremblant : « Enfin ».

Une attaque efficace (avec ironie) :

Cette attaque n’est pas présentée comme menée par des hommes, mais par des objets personnifiés, ce qui lui enlève tout caractère émotif : l’ensemble est bien orchestré. Ce sont les « canons » qui ouvrent les opérations, suivis de « la mousqueterie », puis de « la baïonnette ». Aux assauts sont associés les pertes : « six mille hommes de chaque côté », puis « neuf à dix mille », enfin « quelques milliers ». Le bilan est ensuite exposé de façon purement mathématique : « Le tout pouvait bien se monter à une trentaine de mille âmes ». On a l’impression d’assister à un combat de soldats de plomb (« renversèrent ») avec un décompte énuméré sur un ton détaché (« à peu près », « environ ») avec des euphémismes (« ôta du meilleur des mondes » pour « massacra », « raison suffisante », et dans le dernier § : « raisonner des effets et des causes », les leitmotiv de Candide enseignés par Pangloss qui permettent au philosophe de se tenir à distance des émotions, de la réalité et de l’action immédiate) avec une désinvolture qui déshumanise les combattants et réduit la bataille à une addition de morts.

Une attaque justifiée (avec ironie) :

Ce bilan ainsi présenté n’a rien de dramatique. En effet, cette tuerie répond à un objectif d’épuration : « ôta du meilleur des mondes environ neuf à dix mille coquins qui en infectaient la surface » : il s’agit d’éliminer d’un corps sain des éléments malsains.

De plus, la baïonnette est en elle-même une « raison suffisante ».


II. Un blâme : fonction didactique* de l’apologue (*pédagogique) => les horreurs de la guerre (hyperréalisme de Voltaire : hyperboles)

Suivant la tradition humaniste représentée par Rabelais avec la guerre picrocholine dans Gargantua qui parodie le style héroïque de la tradition épique (cf. L’Iliade d’Homère ou La Chanson de Roland), la guerre est présentée comme un jeu d’enfants irresponsables et les soldats tombent comme des soldats de plomb (cf. la guerre en chambre de Picrochole semblable à un enfant colérique et insatiable). L’oxymore « cette boucherie héroïque » résume sur un mode ironique et en un raccourci significatif (malgré le détour de la figure de rhétorique), la critique de Voltaire.


La satire (fiche, p. 373) correspond à une attitude critique. Elle porte un regard qui prend ses distances avec son sujet pour en montrer les aspects négatifs, souvent par des procédés ironiques : des procédés comme la comparaison, l’amplification, l’accumulation et l’exagération contribuent au dénigrement, à la dévalorisation systématique opérée à l’aide d’un vocabulaire le plus souvent dépréciatif ou exagérément mélioratif (« Rien n’était si beau, si leste, si brillant, si bien ordonné que les deux armées », Candide, III ; « bel autodafé », Candide, VI).1.

La fantaisie du conte : tradition orale et registre comique (effets de décalage qui provoquent une distorsion du réel)

  • Le raccourci d’un titre parodique : « Comment Candide se sauva d’entre les Bulgares, et ce qu’il devint »: résumé de l’action suivant la tradition orale du récit rabelaisien paraphrasé (cf. « Comment Gargantua naquit par les oreilles ») qui annonce le registre comique ;

  • antiphrase, hyperbole et effets de ruptures (contrastes, accumulation, invraisemblances, logiques aberrantes)

la gravité du sujet : la guerre est une atrocité => tableau hyper-réaliste des horreurs de la guerre.

La guerre est présentée comme une « boucherie héroïque » et les « héros » sont des violeurs. Cet oxymore résume à la fois toute la critique de Voltaire et son art du raccourci sarcastique nourri d’effets de contrastes permanents (« harmonie »/ « enfer » ; « Candide, qui tremblait comme un philosophe ») : antithèse des thèmes et des registres pourtant étroitement imbriqués, avec d’un côté le champ lexical de l’héroïsme (« héros ») et la référence récurrente dans le chapitre comme dans tout le conte à la philosophie optimiste de Pangloss (alias Leibniz) : « meilleur des mondes », « la raison suffisante », de l’autre « la boucherie » avec la cruauté de la description hyperréaliste : armée, canons, enfer, six mille hommes, 9 à 10 000 coquins, baïonnette, infectaient, trentaine de mille, morts, mourants, cendres, égorgés, sanglants, éventrés, demi-brûlés, criblés de coups, cervelles répandues, bras et jambes coupées, membres palpitants, ruine.

Tableau hyperréaliste des horreurs de la guerre :

Candide qui n’est pas, malgré tout, un « héros », quitte volontairement le champ de bataille pour « raisonner ailleurs des effets et des causes ». Il sera alors confronté à un autre spectacle qu’il livre en dehors de toute émotion et de tout jugement : celui qui touche les lieux et la population.

Le 2ème § confirme l’impression de focalisation interne du 1er § : aucun écho affectif, aucun jugement général n’est exprimé (sinon le leitmotiv de la philosophie de Pangloss et le détachement apparent de la voix narrative). On assiste à une série d’horreurs hyperréalistes, avec des grossissements sur image (mamelles, cervelles, bras, jambes) mais Candide évolue dans ce cadre sans manifester d’état d’âme. Son insensiblité se fait sentir dans son indifférence à parcourir les lieux de carnage de la même façon, avec le même détachement, ainsi que le soulignent l’adverbe « toujours » et la reprise : « Candide, toujours marchant sur des membres palpitants ou à travers des ruines ».

Bien sûr, derrière Candide, se tient Voltaire et l’hyperréalisme de la description des atrocités provoquées par la guerre (comme l’ironie laudative du 1er §) ne peut laisser le lecteur indifférent.

Description des villages : le premier village dans lequel le héros arrive est « abare » : « il était en cendres » et jonché de corps, de membres (le 2ème vers lequel « il s’enfuit » « appartenait à des Bulgares et des héros abares l’avaient traité de même ». Ainsi, Candide ne fait pas de distinction entre les actions des uns et des autres ; là encore les 2 camps ont le même comportement, ce qui prouve que la guerre est une absurdité.

Description des victimes : les morts, les agonisants, les blessés.

Le champ lexical de la violence extrême pour décrire la barbarie de cette « boucherie héroïque » est amplifié par le fait qu’aucune victime n’est présentée comme morte (« Ici des vieillards criblés de coups regardaient mourir leurs femmes égorgées » ; « là des filles, éventrées après avoir assouvi les besoins naturels de quelques héros, rendaient les derniers soupirs ») : toutes sont agonisantes ou blessées. La mort n’apparaît que dans les parties de corps séparées des individus : « Des cervelles étaient répandues sur la terre à côté de bras et de jambes coupées ». Une même phrase englobe les trois générations d’agonisants : « vieillards» et « leurs femmes », « leurs enfants », «des filles » violées et les participes passés montrent que les personnages n’ont fait que subir leur sort. D’autres victimes sont moins silencieuses, celles qui souffrent mais qui n’en sont pas encore à leurs derniers soupirs pour réclamer qu’on les achève : « d’autres, à demi-brûlées, criaient qu’on achevât de leur donner la mort. »


Les enseignements du conte philosophique : cqfd

la guerre est une atrocité : Voltaire cherche à atteindre la sensibilité du lecteur et fait un tableau cruel et dépouillé, sans commentaire, sous forme d’une vision hyperréaliste. En prenant le masque de Candide, il peut faire jouer ici l’ironie : la guerre est donnée pour belle, utile, équitable), la satire de l’optimisme (Candide est incapable d’intégrer dans ses notions « panglossiennes » les faits qu’il voit et don l’horreur déborde). Sorti du château de T.-t-T., il n’a que des pensées pauvres, des sentiments qui se réduisent à Cunégonde, une imagination nulle. Ici, tout dépasse la pensée, le sentiment et l’imagination : il ne reste qu’à se « cacher » et à « fuir ».

La guerre est une absurdité : personne ne sait ici pourquoi on se bat ; les soldats tombent en masse informe, en nombre (importance des chiffres) ; on ne voit que des corps de victimes mutilés, tandis que l’on fait « la guerre en dentelle » (au début du 1er §), d’où l’effet de contraste avec le 2ème §, ou que l’on célèbre des cérémonies d’actions de grâces : « les deux rois faisaient chanter des Te Deum » (même critique religieuse à l’article « Guerre » du Dictionnaire philosophique). Que valent les discours au sortir d’une telle expérience de massacre ?

L’antimilitarisme de Voltaire avec « la violence de ses sarcasmes et, on peut le dire de ses haines » suivant Edmond Jaloux, se poursuit d’œuvre en œuvre : de Candide en 1758 avec le chapitre précédant celui-ci (« On le fait tourner à droite, à gauche ») à l’article « Guerre » du Dictionnaire philosophique de 1764 (« Il trouve incontinent un grand nombre d’hommes qui n’ont rien à perdre ; il les habille d’un gros drap bleu à cent dix sous l’aune, borde leurs chapeaux avec du gros fil blanc, les fait tourner à droite et à gauche et marche à la gloire. »), Voltaire ridiculise l’armée en utilisant la dérision. Les « héros » sont ici des violeurs, ils seront dans Le Dictionnaire philosophique des « meurtriers ».

Critique des rois : « c’était un village abare que les Bulgares avaient brûlé, selon les lois du droit public » (cf. les raisons de la guerre dénoncée dans l’article « Guerre » du Dictionnaire philosphique).

Critique religieuse : « les deux rois faisaient chanter des Te Deum » (même critique religieuse à l’article « Guerre » du Dictionnaire philosophique : « chaque chef des meurtriers fait bénir ses drapeaux et invoque Dieu solennellement avant d’aller exterminer son prochain. »)

Le lecteur est constamment déstabilisé par l’ironie qui participe à la fois du registre comique et du registre sérieux, de l’invraisemblable exprimé par les exagérations, l’hyperréalisme des descriptions et la gravité des sujets comme chez Rabelais. A l’instar de l’auteur de Gargantua, il choque les mots comme des catagnettes en provoquant à chaque instant la surprise du lecteur par des effets de contraste saisissants (entre la parade initiale et le carnage qui suit), le rythme accumulatif avec les énumérations des 2 premières phrases par exemple et l’accélération du rythme notamment, avec les effets d’annonce du massacre en clausule de la 2ème phrase (« en enfer ») et du premier § avec l’oxymore « boucherie héroïque », l’hyperbole avec la description laudative de l’armée ou celle de la vision hyperréaliste du massacre et l’euphémisme avec le ton détaché de la voix narrative qui ne laisse paraître aucun sentiment ni jugement de valeur. Tous ces effets contribuent à la fois à la fantaisie du conte et à l’efficacité de la démonstration, à la leçon de l’apologue ou du conte philosophique..


« Le rire porte en lui quelque chose de révolutionnaire. Le rire de Voltaire a détruit davantage que les pleurs de Rousseau », Alexandre Herzen (XIXème siècle)

=> Voltaire : « pessimiste gai »/ Rousseau « optimiste triste » ?


III. Candide et le « meilleur des mondes » : ironie => Evolution de Candide ?

Page blanche, fétu de paille balayé par l’histoire : embarqué => l’« engano » : il ne peut pas se sauver dans un arrière-monde => cf. Voltaire ne sublime pas l’enfance comme Rousseau [cf. « l’insoutenable légèreté de l’être », Milan Kundera]

Candide infantilisé subit les événements, victime émerveillée puis tremblante de l’éducation qu’il a reçue et des illusions qu’elle a générées => mise en cause de l’Optimisme de Leibniz incarné par le philosophe Pangloss : « meilleur des mondes », « la raison suffisante » : ironie récurrente dans ce chapitre comme dans tout le conte .

La philosophie de Leibniz est porteuse selon Voltaire d’une idéologie suspecte, puisqu’elle justifie toutes les injustices et les horreurs de ce monde, dont les guerres (chapitre III), les tremblements de terre et les autodafés (chapitre VI), l’esclavage et le racisme (chapitre XIX).

La quête de bonheur de Voltaire, du poème « Le Mondain » en 1836 à la fin de Candide en 1858-59 (et à la philosophie du « bon Bramin » en 1761) est plus modeste, plus matérielle (semble-t-il) : « Il faut cultiver notre jardin. »


« Il faut cultiver notre jardin. »

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Un mouvement littéraire et culturel : Les « Lumières » - Lecture intégrale de Candide, Voltaire (1758-1759)

Voltaire, Candide, VI (1758-59) : la critique du fanatisme (la lutte contre « l’infâme »)

« Comment on fit un bel auto-da-fé pour empêcher les tremblements de terre, et comment Candide fut fessé »


« autodafé » : 1714, port. « auto da fe » = acte de foi > exécution d’une sentence de l’Inquisition => cérémonie religieuse au cours de laquelle les hérétiques condamnés au supplice du feu par l’Inquisition étaient confiés à faire « acte de foi » pour mériter leur rachat dans l’autre monde = supplice du feu (livres ou personnes : sorcières, livres des intellectuels pendant la seconde guerre mondiale, cf. Fahrenheit 451, Ray Bradbury). Revêtus de leurs costumes d’infamie, les condamnés entendaient une messe sur une place publique avant de subir leurs peines. Vers le milieu du XVIIIème siècle, la peine de mort était rarement prononcée à cette occasion alors que les peines mineures (flagellation, emprisonnement, etc.) étaient fréquentes. Au cours des années qui suivirent le tremblement de terre de Lisbonne, il y eut dans cette ville plusieurs autodafés mais ceux-ci n’étaient pas, comme le suggère Voltaire, en rapport avec le tremblement de terre.

[cf. pendaison de l’imprimeur Etienne Dolet au XVIème siècle ; décapitation du Chevalier de la Barre condamné pour impiété en 1766 avec le Dictionnaire philosophique brûlé sur son corps => fiche sur la tolérance (cf. p. 102, Traité sur la tolérance, « Prière à Dieu » , 1763 => déisme de Voltaire) et les affaires dans lesquelles il s’est impliqué.]


3 paramètres pour l’analyse des textes : Comment les idées de Voltaire sont-elles exprimées ?

I. En quoi ce texte est-il un apologue ? La fantaisie du conte philosophique

II. Quelles sont les idées des « Lumières » qui y sont exprimées ? La dénonciation

III. Le héros évolue-t-il ? Le parcours initiatique de Candide


I. La fantaisie du conte : tradition orale et registre comique (effets de décalage qui provoquent une distorsion du réel)

  • Le raccourci d’un titre parodique : « Comment on fit un bel auto-da-fé pour empêcher les tremblements de terre, et comment Candide fut fessé » (cf. Rabelais et la tradition orale du conte)

Il annonce les principaux effets comiques et le sens de la dénonciation : l’ironie avec l’emploi de l’antiphrase « bel » (procédé récurrent dans Candide et repris deux fois dans ce chapitre : « un bel autodafé », « une belle musique »), la logique aberrante (autre procédé récurrent de Candide et réitéré dans ce chapitre) exprimée par la préposition « pour » induisant un rapport de finalité pour souligner l’inadéquation entre le mal et le remède (30.000 morts provoqués par un tremblement de terre et l’absurdité de cette cérémonie religieuse grotesque), l’alliance de mots qui participe à ces effets de distorsion du réel avec la familiarité du verbe « fessé » inventé par Voltaire à la place de « fouetté » ou « flagellé » pour contribuer à la dénonciation sur un mode burlesque par l’infantilisation du héros et l’inadéquation entre le terme et la gravité de la situation. Dès le titre, l’intention critique est évidente mais elle est implicite : la satire est voilée et accentuée à la fois par le merveilleux et le comique du conte.

  • Les qualités narratives du récit (dans ce chapitre comme dans l’ensemble du conte): une progression rapide, alerte (« enlevée »), rythmée avec le suspens final destiné à faire rebondir l’histoire. Les péripéties nombreuses tiennent le lecteur en haleine.

Le passage, quoique bref, concentre un grand nombre de faits : décision de l’autodafé, regroupement des victimes, cérémonie (défilé, exécution de la sentence), mise en liberté de Candide. Voltaire procède comme un metteur en scène : il ne cherche pas à tout décrire, mais il privilégie quelques « gros plans », en éliminant les péripéties secondaires (le jugement, le passage de la prison à la cérémonie, la réaction de la foule).

  • L’organisation du récit :

Le récit s’organise logiquement (ou illogiquement) en 4 temps (4 §) :

1er § : la relation de cause à effet établie entre le tremblement de terre et l’autodafé => un § explicatif (logique causale argumentative, même s’il s’agit ici de souligner une logique aberrante, l’absurde de ce rapport de causalité) => argumentation générale dans une narration :

2ème § : description des condamnés (dont nos 2 héros) => l’intrigue : description dans une narration ;

3ème § : réactions de Candide => propos rapportés au discours direct dans une narration ;

4ème § : poursuite de l’intrigue =>mise en scène narrative : Voltaire maintient le suspense ;

  • Les précisions comiques : la cérémonie de l’autodafé est présentée avec solennité => apparent respect exprimé par les précisions. En fait, elle se révèle un spectacle grotesque.

Les chefs d’accusation : les parrain et marraine d’un enfant appelés « compère » et commère » est interdit sans dispense ; les Portugais ont révélé en « arrachant le lard » du poulet leur appartenance à la religion juive qui interdit de manger du porc (les brades de lard qui entourent le poulet) => critique de l’intolérance ;

Le descriptif de la cérémonie :

Pangloss est pendu au lieu d’être brûlé comme les autres condamnés ;

Le descriptif porte sur le spectacle (comme au chapitre III) : la coiffure des condamnés, les peintures qui ornent leur tenue. Ce descriptif (partiel donc partial) ne conserve que des faits matériels et apparents, pour vider la cérémonie de toute spiritualité. La description a donc une fonction idéologique : elle vise à ridiculiser non seulement l’Inquisition mais aussi tous les rites religieux

(cf. II. Le blâme : Les armes de la satire)

Voltaire décrit le déguisement des condamnés d’après 4 illustrations de C. Dellon, Relation de l’Inquisition de Goa (1688). L’une représente un homme coiffé d’une mitre de papier : c’est un repenti => sur son san benito * des flammes et des diables sans griffes ni queues. Sur la deuxième, l’homme en même équipage pleure : ses flammes sont droites, ses diables portes griffes et queues => il va être brûlé.

* san benito : sorte de surplis ou espèce de casaque portée par-dessus les vêtements.

« mitre » : sorte de chapeau pointu.

« les flammes renversées » indiquent que le condamné s’est rétracté.


II. Le blâme : l’autodafé (comme la guerre) est un SPECTACLE

Voltaire ne se lasse pas de ridiculiser les cérémonies religieuses : la religion est faite pour les simples d’esprit : il ridiculise répétition de « bel(le) » par antiphrase=> « donner au peuple un bel autodafé », « le spectacle de quelques personnes brûlées à petit feu, en grande cérémonie » = « secret infaillible pour empêcher la terre de trembler »

  • L’humour dit le réel pour s’en moquer : il consiste à traiter d’une manière légère un événement tragique : c’est une manière partielle de montrer les choses en leur faisant perdre leur unité, leur cohérence, leur sens. Le système descriptif limité est un jeu humoristique => cf. notamment les adjectifs : « bel » autodafé par exemple et les précisions : « à petit feu », le sermon « très pathétique », la « belle » musique, la pendaison « quoique ce ne fût pas la coutume », la description du confort la cellule étant donné les circonstances : « dans des appartements d’une extrême fraîcheur, dans lesquels on n’était jamais incommodé du soleil ». De même l’humour repose sur les rapports obscurs entre les réalités affirmées (cf. les motifs de la condamnation au début du 2ème §) ou sur des inadéquations (« fessé » au lieu de « fouetté » ; on « orna » leurs têtes…).

  • L’ironie dit ce qui n’est pas, énonce ce qui devrait être. C’est une manière falsifiée de dire les choses pour en révéler l’absurdité. Voltaire feint ici de justifier, d’approuver ou d’admirer des décisions, des actes, des détails inadmissibles. Il fait comme si était logique la décision d’organiser un autodafé, prise par les « sages » (antiphrase*) de Lisbonne, et par « l’université » qui a découvert un lien de causalité entre autodafé et arrêt des séismes.

Le but de l’ironie est de réduire à l’absurde (les raisons de la condamnation), par exemple en utilisant des enchaînements bizarres (passage du § 1 au § 2 :« en conséquence » ; fin du § 2 : « Le même jour, la terre trembla de nouveau avec un fracas épouvantable. »

* Antiphrases : les « sages du pays » à mettre en rapport avec le proverbe inventé par Voltaire dans ses Carnets : « pays d’Inquisition, pays d’ignorance »], les adjectifs faussement laudatifs soulignés parfois par des intensifs pour faire hyperbole et accentuer la dérision : « bel(les) » (3 occurrences) et « infaillible » précédé du superlatif « plus » ; « pathétique» accentué par le superlatif absolu : « très » (pathétique étant pris au sens propre de « qui fait appel à la peur de la mort ») ;

périphrase: « appartement d’une extrême fraîcheur » ;

alliance de mots : début du dernier § : « prêché, fessé, absous et béni ».

  • L’absurdité révélée par la logique aberrante du rapport de finalité avec la répétition de la préposition « pour » : « pour empêcher les tremblements de terre » ; « pour prévenir une ruine totale » ; « secret infaillible pour empêcher la terre de trembler » ?; l’emploi de la locution adverbiale consécutive : « en conséquence » qui contribue à souligner par antiphrase la logique aberrante de ce rapport de causalité entre le mal et le remède et le démenti qui contredit l’efficacité du procédé : « Le même jour, la terre trembla de nouveau avec un fracas épouvantable » *

* Un second tremblement de terre eut lieu à Lisbonne, le 21 décembre 1755, quelques semaines après le premier, faisant plusieurs dizaines de mort. Au cours des années qui suivirent le tremblement de terre de Lisbonne, il y eut dans cette ville plusieurs autodafés mais ceux-ci n’étaient pas, comme le suggère Voltaire, en rapport avec le tremblement de terre. [cf. comme le baron Thunder-ten-tronckh, sorte de Zeus domestique, Dieu est maître du tonnerre]

  • La satire : Voltaire prend l’Inquisition comme moyen de poursuivre ce qu’il appelle « l’Infâme » (la religion, le fanatisme, l’intolérance, la superstition, l’ignorance, l’obscurantisme). Il fait preuve d’une certaine retenue de jugement en faisant semblant de ne pas s’engager pour mieux dénoncer. Il use de travestissements. Ainsi, il n’a pas recours à des termes explicitement péjoratifs comme « monstres » ou « opprobre du genre humain » mais ce chapitre témoigne des méfaits de la religion pervertie en obscurantisme : sottise ou arbitraire du raisonnement ; discordance des idées et du réel ; intolérance ; absurdité des rites réglés ; gratuité de la cérémonie ; cruauté ; inefficacité. Le dogmatisme, invention des hommes, est le contraire de la religion qui est simple amour de Dieu et des hommes (celle de l’Eldorado, chapitres XVII et XVIII et au déisme de Voltaire).

Rappel : La satire (fiche, p. 373) correspond à une attitude critique. Elle porte un regard qui prend ses distances avec son sujet pour en montrer les aspects négatifs, souvent par des procédés ironiques : des procédés comme la comparaison, l’amplification, l’accumulation et l’exagération contribuent au dénigrement, à la dévalorisation systématique opérée à l’aide d’un vocabulaire le plus souvent dépréciatif ou exagérément mélioratif (« Rien n’était si beau, si leste, si brillant, si bien ordonné que les deux armées », Candide, III ; « bel autodafé », Candide, VI).

La stratégie du détour du conte* permet à Voltaire de défendre implicitement son déisme (il défend la « religion naturelle », « celle qui n’enseignerait que l’adoration de Dieu, la justice, la tolérance et l’humanité » contre la religion « artificielle ») et de manifester indirectement son anticléricalisme et son refus des formalismes dogmatiques (il attaque la religion « artificielle » : les églises, les prêtres, les fanatiques…) [*« les meilleurs livres sont ceux dont les lecteurs font eux-mêmes la moitié »]. Ainsi, les Inquisiteurs sont pour lui l’occasion de manifester non seulement sa haine des excités religieux mais aussi d’accabler les hommes d’église pris comme symboles de tous les fanatismes*. [*Rappel : Au cours des années qui suivirent le tremblement de terre de Lisbonne, il y eut dans cette ville plusieurs autodafés mais ceux-ci n’étaient pas, comme le suggère Voltaire, en rapport avec le tremblement de terre. [cf. comme le baron Thunder-ten-tronckh, sorte de Zeus domestique, Dieu est maître du tonnerre]


III. Candide et le « meilleur des mondes » : le héros évolue-t-il au cours de ses voyages ? (Pbtique)

Voltaire ne sublime pas l’enfance comme Rousseau. Tant qu’il n’a pas acquis de l’expérience, Candide infantilisé est un fétu de paille balayé par l’histoire, une page blanche

[cf. « l’insoutenable légèreté de l’être », Milan Kundera].

1. Il subit les événements :

Dans le 2ème §, il n’est l’auteur d’aucune action : son nom n’est jamais sujet, sauf d’un verbe passif à la fin : « fut fessé ».

Ensuite il est accablé d’une cascade d’adjectifs (début du 3ème §) qui renvoient tous à la stupéfaction et à l’inadaptation aux choses.

La cérémonie elle-même montre Candide comme une marionnette déguisée dont le lecteur ignore les réactions. La source de cette apathie est son éducation à T.-t-T. qui l’a privé de toute autonomie pour avoir écouté avec approbation »). Rien n’indique comment Candide perçoit la pendaison de Pangloss : la cérémonie est vue selon une focalisation externe qui interdit d’entrer dans les sentiments du personnage.

2. L’interrogation finale de Candide au 3ème § révèle tout de même une évolution :

Il est surpris par la réalité du monde et constate l’écart entre ses rêves et la réalité. La peur provoque chez lui une révocation de l’optimisme : « Si c’est ici le meilleur des mondes possibles, que sont donc les autres ? ». Les exclamatives élégiaques, si elles ne témoignent pas d’une prise de conscience profonde, source de réflexion et de révolte (puisqu’elles relèvent encore de l’émotion) témoignent d’un début de réaction autonome : Candide pleure Pangloss et Cunégonde (les 2 principaux constituants de l’illusion de T.-t.-T.) et Jacques, l’anabaptiste dont l’idéologie positive a été mal récompensée.

Le personnage s’assombrit et prend conscience. Il est livré à lui-même, prêt à être pris en main par le premier(e) venu(e)… Candide est au début de son cycle d’apprentissage : son parcours initiatique ne fait que commencer…

[

Questions sur Candide (1758-59):

    En quoi ce texte est-il représentatif des valeurs de Lumières ?

    Comment les valeurs des Lumières sont-elles exprimées dans ce texte ?

    En quoi ce texte illustre-t-il les valeurs des Lumières ?

    Quels sont les procédés qui contribuent à donner à ce texte une violence dénonciatrice ?

    Dans quel but Voltaire détourne-t-il les éléments du conte ? Quel est son objectif ?

    En quoi ce texte est-il un apologue ?

    Chapitre III : Par quels procédés la guerre et ceux qui la font sont-ils dénoncés (loués)?

    Chapitre VI : Par quels procédés Voltaire provoque-t-il l’indignation du lecteur ?

    Chapitre XVIII : En quoi ce passage relève-t-il de l’utopie ?

    Chapitre XXX : Quelles réponses la conclusion du conte apporte-t-elle ?

Comment le chapitre final met-il en évidence la primauté de l’action sur le discours ?


* « Prière à Dieu » : En quoi ce texte est-il un plaidoyer en faveur de la tolérance ?

  • Ironie : « De l’horrible danger de la lecture »

  • « L’autre, un sujet en question » : Montesquieu , « De l’esclavage des nègres », L’Esprit des loi ; « Comment peut-on être Persan ? « , Lettres persanes.

  • Progrès : chapitre XVIII « Le Mondain » ; « Luxe » + « Industrie », Encyclopédie (« Nature », Montaigne et Rousseau)

  • Chapitre XXX - XVIII : une leçon de modération et de sagesse $

  • Memnon ou la sagesse humaine (1756),

Histoire d’un bon bramin (1761)> Hatier, p. 435


Penser à faire un synopsis de ce conte philosophique : « hors liste »…


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Chapitre XIX de Candide ou l’Optimisme, Voltaire (1758-1759)

Un mouvement littéraire et culturel : Les Lumières du XVIIIème

« en approchant de la ville, ils rencontrèrent un nègre étendu […] et en pleurant il entra dans Surinam. » (Hatier 1ère, p. 100)


Dans le conte philosophique Candide ou l’Optimisme, Voltaire s’attaque à la philosophie optimiste de Leibniz. En mettant son héros dans des situations politiques, religieuses ou sociales où tout va mal, il dénonce ironiquement la société de son temps. Dans le chapitre XIX, Candide, son précepteur Pangloss et son domestique Cacambo sont confrontés en Guyane hollandaise au problème de l’esclavage.

La rencontre entre Candide et l’esclave de Surinam (capitale de la Guyane hollandaise) conduit à une critique de l’esclavage, et aussi de la société contemporaine complice de tels actes. Ce chapitre exprime un nouvel engagement de Voltaire, chroniqueur de son temps par le biais de la stratégie du détour de l’apologue satirique.


Le ton change : la fantaisie du conteur, l’outrance burlesque rabelaisienne, la distorsion caricaturale du réel font place à un récit entrecoupé de dialogues d’une tonalité plus grave. Le trait est-il forcé ? Ce témoignage naïf mais digne ne manque pas de logique sur la condition des esclavec au XVIIIème siècle : l’ironie du narrateur est prise en charge en point de vue interne par l’interlocuteur de Candide atrocement mutilé. En recourant à la satire, qu’il pousse à l’humour noir quand il met en scène l’esclave noir de Surinam, le conte discrédite efficacement des adversaires (ici, les esclavagistes) et suscite l’indignation du lecteur tout en lui faisant éprouver un sentiment de culpabilité : « C’est à ce prix que vous mangez du sucre en Europe ». L’accusation est directe : elle s’adresse autant à Candide et au monde « blanc » qu’il représente qu’au lecteur narrataire pris à parti implicitement par un nouveau narrateur, la victime du commerce triangulaire qui sévit en Europe au XVIIIème siècle.


I. La stratégie du détour du conte : entre narration et dialogue (la “poétique” du texte)


1er constat : la narration

Au début du texte, l’utilisation de la 3ème personne, « ils » , associée à des verbes d’action au passé, « rencontrèrent… manquaient » est le signe d’un passage narratif au passé ; le narrateur n’est pas identifié. La dernière phrase du texte appartient également au récit, comme l’indiquent les deux verbes d’action au passé, « versait » et « entra », dont le sujet est cette fois le pronom de la troisième personne au singulier, « il », représentant Candide.

Au début du passage, le gérondif « en approchant », et à la fin le verbe « entra » situent le passage dans un intervalle spatio-temporel : il s’agit du moment de la rencontre avec l’esclave devant la ville de Surinam. La narration donne d’abord à voir le personnage avec sa position, « étendu par terre », son vêtement, « la moitié de son habit »…de toile bleue », ses mutilations, « il manquait… la jambe gauche et la main droite ».


2ème constat : le dialogue

Ces passages narratifs encadrent une autre forme de discours : les guillemets de la ligne 4, les tirets des lignes 5, 7, 25, 27 sont la marque d’un dialogue. Les interlocuteurs sont désignés dans les incises : « lui dit Candide » (l. 4), « répondit le nègre » (l. 6), « dit Candide » (l. 7, 27), « s’écria Candide » (l. 27).

Le dialogue est composé de répliques brèves au début et à la fin, avec un passage central plus long qui correspond aux paroles de l’esclave (l. 8-24). Au début du dialogue, un jeu de questions/ réponses introduit le thème du dialogue, rattaché au récit initial : il s’agit de la situation de l’esclave.

Dans les paroles de l’esclave, on remarque d’abord l’utilisation du présent, qui apparente le passage au discours, et en même temps exprime une vérité générale, ce qui est marqué aussi par la 1ère personne du pluriel : l’esclave expose ce qui a motivé sa situation ; les termes « c’est l’usage » font référence à un code, dont il donne certaines dispositions relatives à la condition des esclaves, pour ce qui est de l’habillement et de certains châtiments (Le Code noir, édicté en France en 1685 par Colbert prévoyait des peines comme la mutilation des esclaves noirs).

Dans un second temps, le passage au passé fait apparaître la présence d’un récit, à partir de la ligne 13, avec le passé simple du verbe « vendit ». Dès lors, l’esclave évoque l’origine de sa propre situation, ce que marque aussi la première personne. Les guillemets (l. 14 et 17) interrompent le récit par les paroles antérieures de la mère. L’évocation de la Guinée situe le pays d’origine, les termes « tu as l’honneur » et « tu fais la fortune » suggèrent les motifs de la vente, la considération et la fortune de la famille. A la fin de ces paroles, l’exclamative « Hélas ! » et certaines formulations expriment par la négation et par le lexique le décalage avec ces promesses ; ainsi « ils n’ont pas fait la mienne », « mille fois moins malheureux », « plus horrible ».


II. La fonction argumentative du récit : la dénonciation de l’esclavage (la “critique”)


Un symbole de la condition des esclaves :


A travers ce récit de fiction transparaissent diverses informations à destination du lecteur : l’existence d’un code, le Code noir, édicté par Colbert. Par ailleurs, la mention du négociant et l’allusion au sucre indiquent la position sociale des maîtres. La référence à l’Afrique renvoie au commerce triangulaire et aux promesses des négriers. Enfin, l’utilisation du mot « fétiches » et le rappel de leurs beaux discours mettent en cause la responsabilité des prêtres dans le mensonge du discours des Blancs, comme l’indique la distorsion entre les expressions « nous sommes tous enfants d’Adam » et « on ne peut pas en user avec ses parents d’une manière plus horrible ». On remarque donc une superposition entre la fiction, qui relate la situation de ce personnage d’esclave, et la réalité, qui touche tous les esclaves. Ainsi, l’esclave de Surinam prend une dimension symbolique.


Le ton de l’esclave :


L’efficacité de la dénonciation est renforcée par la sobriété du témoignage. L’exposé de l’esclave utilise une ponctuation neutre, essentiellement des points, et le lexique est presque constamment informatif et explicatif. La progression même du discours, des conditions qui expliquent la situation de l’homme à l’exposé de ses origines, suit une logique qui suggère une certaine rigueur de structure ; cette rigueur l’emporte sur une émotion éventuelle. Elle se retrouve dans le détail du propos. L’expression « c’est l’usage » (l. 8) fait référence à une situation établie, à un code administratif. Les phrases qui suivent évoquent les conditions de travail et les châtiments habituels, comme le marquent l’emploi de « on » et de « nous » et le présent de vérité générale ; les parallélismes de construction. « Quand nous travaillons […] on nous coupe » ; « quand nous voulons […] on nous coupe » qui sont ici les marques d’un propos bien construit, et donc sans émotion particulière. La mention « je me suis trouvé dans les deux cas » constitue un simple constat qui explique l’état de cet esclave et souligne une banalisation. Voltaire use ici de la litote plus que de la caricature.

Dans un second temps, l’esclave expose l’origine de sa captivité. De la même façon, plusieurs indices mettent en évidence la structure du discours : la composition chronologique, des raisons de la vente en Guinée à la situation présente, les connecteurs logiques, « Cependant » (l. 13), « mais » (l. 18), « Or » (l. 23). Dans la dernière partie du discours, on note cependant l’émergence discrète de l’émotion, à travers l’exclamation « Hélas » (l. 17), les négations et le lexique à connotation négative « ils n’ont pas fait la mienne », « malheureux », « horrible ». mais pour l’essentiel le discours est marqué par la sobriété du constat, qui contraste avec l’horreur de la réalité.


L’ironie de Voltaire ou la stratégie du détour du conte philosophique :

Ce récit très concret et neutre donne à voir cette réalité en termes accessibles au lecteur, ce qui est le principe du conte philosophique. La distorsion entre une écriture qui semble traduire l’acceptation d’une situation et le caractère inacceptable de cette situation émeuvent la sensibilité du lecteur. Un décalage analogue est produit par le rapprochement entre la mutilation de l’esclave et le confort des Européens ainsi pourvus en sucre dans la phrase « C’est à ce prix que vous mangez du sucre en Europe » (l. 13). Ces procédés de décalage relèvent de l’ironie, qui consiste ici à mettre en évidence la différence entre le ton et la réalité afin de déstabiliser le lecteur, de susciter son émotion, mais aussi sa réflexion et peut-être son action. C’est là l’objectif des contes philosphiques.

La distorsion du réel est provoquée par des effets de contraste : elle ne vient pas cette fois d’une déformation des faits mais de leur mise à distance par l’énonciateur et du décalage ironique entre le sacrifice des uns et le confort des autres.


III. Le héros évolue-t-il ? (la problématique de « l’engano »)


Chez Candide, le discours de l’esclave suscite deux types de réaction : les exclamations « Ô Pangloss » et « Hélas ! », et l’insistance sur les pleurs avec les formulations « il versait des larmes », « en pleurant » mettent en valeur une émotion, qui renforce celle du lecteur. Parallèlement, Candide met en cause l’optimisme dont il a été nourri et évoque son abandon de cette doctrine ; mais le futur « il faudra qu’à la fin » suggère qu’il s’agit d’une possibilité encore incertaine. Par ailleurs, Candide reste au stade de l’émotion immédiate, et il continue son voyage sans agir concrètement pour l’esclave (que pourrait-il bien faire en l’occurrence ?).


Dans l’économie de l’œuvre, c’est un premier pas dans son autonomie intellectuelle, puisqu’il se démarque de son maître à penser au point de mettre en cause son optimisme : « c’est la rage de soutenir que tout est bien quand on est mal » ; mais il n’a pas encore d’action autonome. S’il commence à se révolter, il reste passif : il questionne, il commente, il s’exclame, et il pleure…


La critique de l’optimisme :

La question de l’esclavage met en cause l’illusion optimiste à travers diférents éléments de dénonciation.

L’idée que l’optimisme est une illusion intellectuelle est sensible dans certains rapprochements : d’une part dans les jeux d’opposition lexicales entre le discours de la mère et l’état de l’esclave : ainsi on remarque les échos entre le futur associé à des connotations positives dans les paroles de la mère et le présent à connotation négative dans le constat de l’esclave : « ils te feront vivre heureux »/ « malheureux, tu fais la fortune […] pas la mienne ». D’autres oppositions se révèlent entre le discours égalitaire des prêtres et la situation du « nègre » : « nous sommes tous enfants d’Adam »/ « on ne peut pas en user […] d’une manière plus horrible ». De façon plus générale ce caractère illusoire est marqué à la ligne 28 dans le contraste entre le discours positif « soutenir que tout est bien » et la réalité négative, « on est mal ».

L’esclavage est un démenti supplémentaire (comme l’autodafé et la guerre) apporté à l’optimisme puisque c’est une des formes de l’inhumanité. L’allusion aux Européens à travers le nom du négociant et l’évocation du sucre soulignent le fait que ce sont les nations dites civilisées qui sont partie prenante de cette inhumanité. Le fait que l’Européen Candide est choqué par l’esclavage et doute de l’optimisme, le lien entre le fait social et la position intellectuelle doivent conduire le lecteur à réagir contre l’un et l’autre.


Conclusion : la force critique du passage

La force critique de ce passage découle de la superposition qui est faite ici entre la fiction et la réalité. Le conte narre une fiction, par définition ; mais la situation est bien réelle et révèle un scandale contemporain. En mettant en action ses héros, en donnant à voir, le narrateur suscite l’imagination du lecteur, comme dans un texte de fiction, mais lui fait aussi appréhender la réalité contemporaine, et cette appréhension est facilitée par le fait qu’elle passe par la fiction, plus accessible au lecteur : la portée critique est donc augmentée et sans doute élargie à un public plus vaste que ne le serait celui d’un ouvrage plus abstrait. De plus, à travers son héros, Voltaire présente des attitudes possibles auxquelles le lecteur peut se référer par un processus d’identification, ce qui facilite sa prise de position.

Ainsi, le conte devient un support à la dénonciation de situations anormales, voire révoltantes.


Lire le texte suivant : « Prière à Dieu » , extrait du Traité sur la tolérance, 1763 , p. 102


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Candide ou l'Optimisme, Voltaire (1758-59)


I - La "poétique" du texte : un conte

L'ENONCIATION - LA NARRATION


Les étapes de la narration : la construction du récit, le rythme de la narration
Les schémas narratif et actantiel : http://tempoeroman.blogspot.com

Les registres : la dialectique du sublime et du grotesque => L'IRONIE
(rappel des registres : épidictique, comique, pathétique, tragique, ironique, polémique, satirique...)
Les registres et les points de vue : http://tempoestyle.blogspot.com


'"J'ai longtemps pris ma plume pour une épée", Sartre, Les Mots


VISIONS DE L'HOMME ET DU MONDE

"Le style, c'est l'homme même", Buffon

"Mon nom, je le commence et vous finissez le vôtre"


II. La "critique" : un conte philosophique

Candide, héros ou personnage ?

Le héros-personnage est-il forcément le vecteur d'un énoncé didactique sur le monde ?

L'itinéraire du héros-personnage correspond-il forcément à celui de l'écrivain ?


FICHE AUTEUR

"Le Mondain"


1755 : 2 tremblements de terre à Lisbonne


« Poème sur le désastre de Lisbonne » , 1756


Candide ou l’optimisme, 1758


Lettre de Voltaire à Rousseau :

« J’ai reçu, monsieur, votre nouveau livre contre le genre humain ; je vous en remercie. Vous plairez aux hommes, à qui vous dites leurs vérités, mais vous ne les corrigerez pas. On ne peut peindre avec des couleurs plus fortes les horreurs de la société humaine, dont notre ignorance et notre faiblesse se promettent tant de consolation. On n’a jamais employé tant d’esprit à vouloir nous rendre bêtes ; il prend envie de marcher à quatre pattes, quand on lit votre ouvrage. Cependant, comme il y a plus de soixante ans que j’en ai perdu l’habitude, je sens malheureusement qu’il m’est impossible de la reprendre, et je laisse cette allure naturelle à ceux qui en sont plus dignes que vous et moi. Je ne peux non plus m’embarquer pour aller trouver les sauvages du Canada : premièrement, parce que les maladies dont je suis accablé me retiennent auprès du plus grand médecin de l’Europe, et que je ne trouverais pas les mêmes secours chez les Missouris ; secondement, parce que la guerre es t portée dans ces pays-là, et que les exemples de nos nations ont rendu les sauvages presque aussi méchants que nous. Je me borne à être un sauvage paisible dans la solitude que j’ai choisie auprès de votre patrie, où vous devriez être. » …