Extrait de la correction du commentaire de la scène 5 de l'acte 3 du Mariage de Figaro pour illustrer la thèse de votre dissertation :
Dissertation pour vendredi 21 janvier :
Vous vous demanderez ce qui, depuis l'Antiquité, pousse les hommes à écrire des pièces de théâtre et à assister à des représentations.
Vous vous interrogerez sur les caractéristiques et les fonctions du genre théâtral et sur les relations du texte et de sa représentation, en vous appuyant sur le corpus des textes de théâtre que vous avez lus et étudiés (notamment dans le cadre des cours de 2de et de 1ère), sur les pièces que vous connaissez, pour les avoir lues ou vues au théâtre.Exemple pour la dissertation n° 8 : le théâtre : texte et représentation <= le comique de situation des apartés (étude des didascalies)
Le comique de situation : les apartés indiqués par les didascalies ponctuent la scène, plus particulièrement l'extrait étudié, à la fin de son premier tiers et à la fin de l'extrait.
Cet effet comique propre au théâtre est rendu possible par la double énonciation qui permet de diviser la scène en deux pour voir et entendre les deux personnages prendre à parti le spectateur. Il provoque ainsi un double effet comique de mise en abîme, de comédie dans la comédie qui rend le spectateur seul maître du jeu, capable d’apprécier le double jeu des personnages : d’attaque de l’un qui cherche à savoir, et d’esquive de l’autre qui ne veut pas se trahir.
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Beaumarchais, Le Mariage de Figaro, acte III, extrait de la scène 5, 1784
Le Comte :
... Autrefois tu me disais tout.
Figaro :
Et maintenant je ne vous cache rien.
Le Comte :
Combien la Comtesse t'a-t-elle donné pour cette belle association ?
Figaro :
Combien me donnâtes-vous pour la tirer des mains du docteur ? Tenez, Monseigneur, n'humilions pas l'homme qui nous sert bien, crainte d'en faire un mauvais valet.
Le Comte :
Pourquoi faut-il qu'il y ait toujours du louche en ce que tu fais ?
Figaro :
C'est qu'on en voit partout quand on cherche des torts.
Le Comte :
Une réputation détestable !
Figaro :
Et si je vaux mieux qu'elle ? Y a-t-il beaucoup de seigneurs qui puissent en dire autant ?
Le Comte :
Cent fois je t'ai vu marcher à la fortune, et jamais aller droit.
Figaro :
Comment voulez-vous ? La foule est là : chacun veut courir, on se presse, on pousse, on coudoie, on renverse, arrive qui peut ; le reste est écrasé. Aussi c'est fait ; pour moi, j'y renonce.
Le Comte :
A la fortune ? (A part.) Voici du neuf.
Figaro, à part :
A mon tour maintenant. (Haut.) Votre excellence m'a gratifié de la conciergerie du château ; c'est un fort joli sort : à la vérité, je ne serai pas le courrier étrenné des nouvelles intéressantes ; mais, en revanche, heureux avec ma femme au fond de l'Andalousie...
Le Comte :
Qui t'empêcherait de l'emmener à Londres ?
Figaro :
Il faudrait la quitter si souvent, que j'aurais bientôt du mariage par-dessus la tête.
Le Comte :
Avec du caractère et de l'esprit, tu pourrais un jour t'avancer dans les bureaux.
Figaro :
De l'esprit pour s'avancer ? Monseigneur se rit du mien. Médiocre et rampant, et l'on arrive à tout.
Le Comte :
... Il ne faudrait qu'étudier un peu sous moi la politique.
Figaro :
Je la sais.
Le Comte :
Comme l'anglais, le fond de la langue !
Figaro :
Oui, s'il y avait ici de quoi se vanter. Mais feindre d'ignorer ce qu'on sait, de savoir tout ce qu'on ignore ; d'entendre ce qu'on ne comprend pas, de ne point ouïr ce qu'on entend ; surtout de pouvoir au-delà de ses forces ; avoir souvent pour grand secret de cacher qu'il n'y en a point ; s'enfermer pour tailler des plumes, et paraître profond quand on n'est, comme on dit, que vide et creux ; jouer bien ou mal un personnage, répandre des espions et pensionner des traîtres ; amollir des cachets, intercepter des lettres, et tâcher d'ennoblir la pauvreté des moyens par l'importance des objets : voilà toute la politique, ou je meure !
Le Comte :
Eh! c'est l'intrigue que tu définis !
Figaro :
La politique, l'intrigue, volontiers ; mais, comme je les crois un peu germaines, en fasse qui voudra ! J'aime mieux ma mie, ô gué ! comme dit la chanson du bon Roi.
Le Comte, à part.
Il veut rester. J'entends... Suzanne m'a trahi.
Figaro, à part.
Je l'enfile, et le paye en sa monnaie.
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Le Mariage de Figaro, Beaumarchais, III, 5 (1785) : la scène de confrontation
Le théâtre, «un « champ de forces » : quel est l'intérêt dramatique de cette scène ?
(Quelles sont les fonctions du dialogue de théâtre ?)
Le théâtre au siècle des « Lumières » : un théâtre de situation, de Marivaux à Beaumarchais
Le THEATRE : texte et représentation (la double énonciation)
La comédie du XVIIIème siècle se caractérise par un mélange des registres et une évolution dans la relation maître-valet : des valets du théâtre burlesque de la Commedia dell’arte (avec le personnage d’Arlequin notamment) et des comédies de Molière (avec La Flèche, Scapin, Sganarelle et la servante Dorine dans Tartuffe) à ceux des comédies de Marivaux et de Beaumarchais, avec Figaro qui devient un personnage à part entière, complexe et évolutif, le statut du valet de comédie se transforme : de type, il devient individu et gagne en épaisseur psychologique.
Cet extrait de la scène 5 de l’acte 3, au centre de la comédie satirique, met en scène le premier face à face entre Almaviva et Figaro, le seul de toute la comédie : les deux personnages qui étaient complices depuis leurs retrouvailles dans la scène deux du premier acte du Barbier de Séville, créé neuf ans plus tôt par le dramaturge, deviennent rivaux, porteurs de valeurs antagoniques. Ce passage représente ce qu’on appellerait dans une tragédie classique, le moment de crise ou l’acmé : la relation s’est dégradée entre le maître et le valet qui se trouvent confrontés pour la première fois : le comte libertin qui a épousé Rosine grâce à Figaro, l’ingénieux barbier, le « machiniste » de « l’imbroille » du Barbier de Séville délaisse son épouse après trois ans de mariage. Il a des vues sur Suzanne, la fiancée de son valet devenu concierge du château, et entend bien exercer le « droit du seigneur » qu’il avait pourtant aboli à son mariage avant les noces de la camériste de sa femme avec Figaro. Mais c’est sans compter avec Figaro qui entend ne pas se laisser faire et « attraper ce grand trompeur »… Est-ce lui finalement qui aura le dernier mot ?
Cette scène de double mise en abîme est une aubaine pour des comédiens : chacun des deux hommes cache son jeu, le but du Comte étant de savoir si Figaro est au courant de ses manœuvres malhonnêtes, celui de Figaro de ne pas se démasquer. Le dialogue devient ici un duel verbal à fleurets mouchetés (1er axe) : chacun des deux personnages cherche à découvrir le jeu de l’autre en essayant de ne pas se trahir. Le spectateur suit le cheminement des réflexions de l’un et de l’autre grâce aux apartés permis par la double énonciation. C’est donc à une mise en scène dans la mise en scène que le public assiste, pour son plus grand divertissement, même si le comique de cette scène est plus voilé que certaines autres plus enjouées ou plus enlevées.
I. Un duel verbal : la relation maître-valet (deux thèses en présence).
1 . Inquisition d’Almaviva : « le grand seigneur méchant homme », « jaloux et libertin », ( I, 3) …
Le Comte s’informe : interrogatives accusatrices, offensantes qui ravalent Figaro au rang de valet fourbe et vénal (« Combien la Comtesse t’a-t-elle donné […] ? » ; « Pourquoi faut-il qu’il y ait toujours du louche en ce que tu fais ? » ).
Cette mise en cause de son fidèle serviteur est choquante pour le public du Barbier de Séville : elle témoigne de l’ingratitude et de la violence du personnage qui exige des confidences (« tu me disais tout »). Elles ne peuvent que déplaire quand on sait comme Figaro ce qu’il cache : la volonté d’abuser d’un « droit honteux ».
L’ironie dramatique réduit le personnage : le public et Figaro savent ce que le Comte ignore encore au début de ce passage, mais qu’il découvrira grâce à son interrogatoire.
Porteur de contre-valeurs, Almaviva représente la tyrannie, l’abus de pouvoir (monologue de Figaro, I, 2). C’est lui qui masque son jeu, qui trahit et qui se permet de plus d’accuser, de critiquer, de mener des interrogatoires et d’acculer son domestique à l’aveu. La démarche inquisitrice d’Almaviva dans cette scène est une nouvelle forme d’ « hybris » dénoncée par la « catharsis » du théâtre de Beaumarchais : Almaviva est non seulement « jaloux et libertin », mais il est fourbe, comme … le Dom Juan de Molière devenu tartuffe, ou comme un « picaro », un personnage dérivé du valet de comédie qui cherche à gravir les échelons de l'échelle sociale…
cf. le sujet d'invention : "Je suis le maître, je parle : allez, obéissez" (Corneille, Sertorius, et Molière, L'Ecole des femmes). Imaginez deux scènes de théâtre, l'une comique et l'autre tragique, dans lesquelles figurera cette réplique.
2. Un dialogue animé : stichomythie des répliques brèves et vives avec les réparties spirituelles et frondeuses de Figaro.
Interrogatives du Comte : interrogatives et interruption de Figaro qui riposte du tac au tac.
Impératifs (« Tenez », « n’humilions pas ») et aphorismes de Figaro : « C’est qu’on en voit partout quand on cherche des torts » (énonciation généralisante avec l’impersonnel « on » et le présent de vérité générale) jusqu’à l’amplification de la tirade sur les courtisans avec effet de chute hyperbolique : « ou je meure ! » (tournure elliptique au subjonctif).
Figaro mène le jeu rhétorique : il interrompt son maître, lui parle à l’impératif (et même à l’impératif négatif) pour lui faire la leçon, généralise avant de retourner le jeu des interrogatives contre celui qui l’avait induit : « Y a-t-il beaucoup de seigneurs qui puissent en dire autant ? » . c’est une première attaque indirecte du Comte avant la tirade contre les courtisans qui vise la malhonnêteté et le libertinage d’Almaviva, « vide et creux » lui aussi, comme ses répliques…
3. Une scène de confrontation entre le maître et son valet : deux thèses en présence.
Figaro, par sa lucidité, l’intelligence et la souplesse de ses répliques ironiques témoigne de son esprit d’à-propos et de sa dignité (« n’humilions pas », «Et si je vaux mieux qu’elle ? »). Il s’oppose au mécanisme inquisiteur chargé de menaces de l’aristocrate arrogant et égocentrique, sûr de son pouvoir. Le droit à l’honneur et au bonheur (« j’y renonce » / « à la fortune ? » ; « heureux avec ma femme » ; « j’aime mieux ma mie, ô gué ! » comme Alceste, le misanthrope de Molière) qu’il revendique montre qu’il a évolué depuis Le Barbier de Séville (« Allons, Figaro, vole à la fortune, mon fils », I, 6), à la différence d’Almaviva qui apparaît comme une « mécanique plaquée sur du vivant ». Les motivations basses que le Comte prête à son valet sont retournées par ce dernier qui refuse de se laisser enfermer dans le carcan des accusations d’un maître indigne : « n’humilions pas l’homme qui nous sert, crainte d’en faire un mauvais valet » ; « C’est qu’on en voit partout quand on cherche des torts » ; « Et si je vaux mieux qu’elle ? ».
Ce sens de la répartie et de la dignité, ce renversement des rôles entre un valet garant de l’honneur et un maître qui déshonore sa condition, rappellent la réplique du spirituel barbier au cours de la scène de retrouvailles entre les deux hommes dans Le Barbier de Séville : « Aux vertus qu’on exige dans un domestique, Votre Excellence connaît-elle beaucoup de maîtres qui fussent dignes d’être valets ? » (I, 2).
La tension entre les deux hommes rappelle, à la veille de la révolution française que le théâtre est avant tout, selon l’expression d’Antoine Vitez, un « champ de forces » : la parole se partage et les ruptures d’équilibre sur la scène du théâtre induisent le plus souvent une distinction dans la hiérachie sociale entre les personnages. Ainsi, cette joute oratoire où le valet semble dominer le maître par son esprit, sa supériorité morale mais aussi l’importance de ses répliques avec notamment sa tirade sur les courtisans de même que le fait qu’Almaviva ne soit pas épargné par la « vis comica » annoncent les revendications sociales qui conduiront à la Révolution française exprimées dans le monologue de Figaro de l’acte V, qui est une scène d’anthologie et un morceau de bravoure pour des comédiens en même temps qu’une première dans le théâtre français où jamais un valet n’avait eu jusqu’ici le privilège d’un monologue réservé aux personnages de haut rang : « Noblesse, fortune, un rang, des places, tout cela rend si fier ! Qu’avez-vous fait pour tant de biens ? Vous vous êtes donné la peine de naître, et rien de plus. » (la première scène présente un valet et une camériste à la différence du Barbier de Séville qui s’ouvrait sur un monologue du Comte Almaviva suivant l’ordre de préséance hiérarchique hérité de la Comedia dell’arte comme de la tragédie ; elle est suivie d’un monologue de Figaro).
Le valet des comédies du XVIIIème siècle ne répond plus au stéréotype du valet fourbe et fripon de la Commedia dell’arte. Le portrait dévalorisant que dresse Almaviva de Figaro ne lui correpond pas, de sorte que le blâme se retourne contre lui : si quelqu’un dans cette comédie est « louche » , de « réputation détestable », c’est davantage le Comte que Figaro. Ce dernier ne répond plus au stéréotype du valet de comédie (« de l’intrigue et de l’argent, te voilà dans ta sphère », lui disait Suzanne, I, 1) : il ne « marche(r) » plus « à la fortune » , et ne cherche plus à s’ « avancer » , et n’a rien de « médiocre et rampant » .
Il a appris à répondre, à se défendre, à revendiquer son droit à l’honneur et au bonheur. Or, Almaviva et la noblesse qu’il représente semblent ne pas s’en rendre compte (« une réputation détestable »). C’est pourquoi, à partir de la réplique : « Y a-t-il beaucoup de seigneurs qui puissent en dire autant ? », le public assiste-t-il à un renversement des rôles : Figaro attaque indirectement le Comte (son rival auprès de Suzanne, sa fiancée) à travers cette généralisation qui met toute la noblesse en question : la caricature des intrigants qui suit débouche sur une critique des courtisans dans la tirade finale. Habilement Figaro opère un glissement dans une critique qui vise au premier chef, le Comte et ses « licences », bien entendu, mais avec lui tous les hommes d’intrigue : il passe donc des arrivistes aux intrigants de cour qui peuvent vivre sans travailler, c’est-à-dire, les courtisans, les aristocrates. Cette critique de l’inutilité de la classe privilégiée («paraître profond quand on est, comme on dit, que vide et creux ») prend toute sa dimension contestataire au siècle où les philosophes des Lumières revendiquent une morale sociale où chacun participe à l’intérêt collectif. Louis XVI qui a interdit Le Mariage de Figaro et embastillé Beaumarchais ne s’y est pas trompé, de même que le Comte qui, trouvant sans doute que Figaro va trop loin dans l’amalgame qu’il fait entre les arrivistes et les politiques (« voilà toute la politique, ou je meure ! ») le rappelle à l’ordre : « Eh ! c’est l’intrigue que tu définis ! » , mais Figaro persiste et signe : « La politique, l’intrigue, volontiers ; mais comme je les crois un peu germaines, en fasse qui voudra ! » .
Problématique : L’action dans cette scène progresse-t-elle? Et Figaro restera-t-il maître du jeu comme dans la comédie précédente ?
Ce dialogue fait-il réellement progresser l’action ? Chacun croit avoir eu raison de l’autre :
Figaro croit avoir gagné : « Je l’enfile et je le paye en sa monnaie »)…
Mais n’est-ce pas plutôt Almaviva qui sort vainqueur ? Figaro s’est trahi en renonçant « à la fortune » : il a appris au Comte que Suzanne a parlé : « Il veut rester. J’entends… Suzanne m’a trahi. »
II. Comédie ou satire ?
Le spectateur se trouve-t-il face à la relation traditionnelle des comédies de Molière inspirées de la Commedia dell’arte entre un maître tyrannique déraisonnable et un valet avisé et impertinent, rusé et fourbe ou dévoué et de bon conseil, mais à la langue bien pendue comme la Dorine de Tartuffe ?
1. Le comique de mots, de situation et de caractère : l'esprit des Lumières
Le comique de mots (au début du passage surtout) : stichomythie du jeu verbal à fleurets mouchetés avec des effets d’antithèse proches du chiasme au début de l’extrait ( « autrefois »/« maintenant » ; « tout » /« rien » ; ironie du Comte : « belle association » ; « Comme l’anglais le fond de la langue ! » ; litote de Figaro : « je ne vous cache rien » ; reprise anaphorique de « combien »). Figaro ne se laisse pas faire et répond du tac au tac.
Le comique de situation : les apartés indiqués par les didascalies ponctuent la scène, plus particulièrement l'extrait étudié, à la fin de son premier tiers et à la fin.
Cet effet comique propre au théâtre est rendu possible par la double énonciation qui permet de diviser la scène en deux pour voir et entendre les deux personnages prendre à parti le spectateur. Il provoque ainsi un double effet comique de mise en abîme, de comédie dans la comédie qui rend le spectateur seul maître du jeu, capable d’apprécier le double jeu des personnages : d’attaque de l’un qui cherche à savoir, et d’esquive de l’autre qui ne veut pas se trahir.
Exemple pour la dissertation n° 8 : le théâtre : texte et représentation <= le comique de situation des apartés (étude des didascalies)
Le comique de caractère : idée fixe d’Almaviva méprisant, injuste et malhonnête ; son ironie offensive et insultante n’est pas sympathique; sens de la répartie de Figaro, ironique, lucide et insolent ; contraste entre la jalousie et le libertinage du Comte dénoncés par Marceline (« jaloux et libertin », I, 3) : Almaviva est présenté comme une machine à séduire toutes les femmes. L’esprit frondeur de Figaro vise indirectement le Comte à travers sa critique des intrigants : charge satirique contre leur malhonnêteté et leur oisiveté.
Lucidité et impertinence du valet de plus en plus contestataire.
Cette scène reste une scène de comédie, mais le comique y est plus voilé que dans la scène 5 de l’acte I par exemple : les enjeux de cette scène sont-ils comiques ?
L’ironie dramatique réduit le Comte mais aussi Figaro :
L'ironie dramatique réduit-elle les deux rivaux de la même façon ?
Le Comte ne sait pas que Figaro a été mis au courant depuis le début de la pièce par Suzanne : ce que le spectateur a appris depuis la scène d’exposition en même temps que Figaro, l’intéressé qui va chercher à « attraper ce grand trompeur »…
Mais ce que tous deux ne savent pas, c’est que Suzanne et la Comtesse s’entendent pour les tromper tous les deux : la Comtesse a fait promettre à Suzanne de ne rien dire à « cet étourdi de Figaro » à la fin de l’acte II…
Figaro et le Comte sont donc réduits par l’ironie dramatique, mais le Comte plus que Figaro (doublement) : la « vis comica » place donc le gentilhomme au même rang qu’un bourgeois ridicule de comédie (un Pantalon, un vieillard avare et amoureux comme Bartholo ou Harpagon), en situation d’infériorité par rapport à un valet « machiniste » qui mène le jeu. Mais Figaro mène-t-il le jeu dans cette Folle journée ?
Une inversion des relations maître et valet subversive :
L'ironie dramatique réduit surtout « le grand seigneur méchant homme » : c'est sur lui que porte le blâme.
« Castigat ridendo mores »*
« La naissance n'est rien où la vertu n'est pas », Don Louis, le père de Dom Juan dans la pièce de Molière
Qui est le véritable « gentilhomme » ?
Le gentilhomme est réduit par l’ironie dramatique dans cette comédie satirique du XVIIIème siècle. Il ne sait pas et cherche à découvrir ce que le spectateur sait depuis la scène d’exposition : Figaro est-il au courant de ses intentions sur Suzanne ?
Des deux personnages, quel est le véritable « fripon » ?
Certes, Figaro cache son jeu à son maître depuis que, « bon garçon », il a appris par Suzanne les intentions d'Almaviva à l’égard de cette dernière : mais peut-on l’en blâmer ? Il défend les valeurs du couple et du mariage en même temps que celles de sa condition : le droit à la propriété et à la dignité.
Si Almaviva est aussi tartuffe et libertin que Dom Juan, le « grand seigneur méchant homme » de Molière, qu’est-ce qui différencie les deux personnages ?
Disctinction à faire entre Almaviva et Dom Juan (un autre « Seigneur méchant homme ») :
La « vis comica » épargne Dom Juan qui, s’il est inquiétant comme Almaviva dans certaine scènes, n’est jamais ridicule : au contraire, il atteint une grandeur tragique consacrée par sa fin. Dom Juan n’est pas un personnage de comédie alors qu’Almaviva, « jaloux et libertin », se rapproche par le comique de caractère d’un personnage à idée fixe comme Bartholo (« Pantalon » dans la Commedia dell’arte), dénoncé par ce que Bergson appelle du « mécanique plaqué sur du vivant ». Almaviva, réduit à n’être qu’une machine à conquérir sans états d’âme n’a ni la complexité tragique de Dom Juan, ni le pathétique d’un Figaro (V, 3).
1er axe = 1ère Pbtique => [Une scène de dialogue originale ]
L’affrontement verbal entre le maître et le valet au XVIIIème siècle : progression du dialogue.
2ème axe = 2ème Pbtique => [Mise en scène de la parole contrainte propre à susciter l’indignation du spectateur devant les abus des gentilhommes : dénonciation amorcée par Molière avec Dom Juan (le « grand seigneur méchant homme »)]
La revendication sociale : l’évolution de la relation maître-valet dans la comédie du XVIIIème siècle : « le reste est écrasé » => théâtre politique : enjeux différents de la comédie du XVIIème siècle (plus psychologique : du comique de caractère au comique de situation)
FONCTION SOCIALE DU THEATRE : enjeux de « Lumières » => morale sociale (cf. fonction pédagogique du théâtre du XVIIIème siècle qui devait être plus social, moins psychologique, selon Diderot)
Une mise en abyme du spectacle dramatique : les apartés => chacun des deux personnages joue la comédie à l’autre : l’ironie dramatique qui réduit les deux personnages aux yeux du spectateur (l’espace
scénique est creusé par ce jeu de focalisation) est rendue possible par la double énonciation. Elle ridiculise les deux hommes et prépare la victoire des femmes à l’acte V, puisque le spectateur sait depuis la scène XXVI de l’acte II que la Comtesse a décidé de prendre les choses en main, devenant « machiniste » à son tour. C’est elle qui ira au rendez-vous… Seule Suzanne est dans la confidence : « Souviens-toi que je t’ai défendu d’en dire un mot à Figaro », prend-elle la précaution de dire à Suzanne.
Un dialogue de sourds ? Les enjeux : comiques ?
Jeu d’esquive de Figaro : sens de la répartie => pendant le 1ère partie du dialogue il tente d’éviter de se trahir. Il retourne les répliques accusatrices du Comte : stichomythie.
Un affrontement à fleurets mouchetés : l’affrontement direct est impossible
(cf. le schéma actantiel et le statut du valet dans la comédie du XVIIIème siècle)
On doit à Beaumarchais l’invention d’un personnage devenu par la force même de son existence dramatique (la forme même de la trilogie implique un retour du personnages en même temps que son évolution, et donc un rapport problématique à l’idée d’identité, affrontée à l’écoulement temporel) un mythe littéraire, accédant au même titre que les grands héros tragiques à une individualité généralement bannie d’un genre comique jouant plus volontiers sur les archétypes. Un tel personnage est une date, parce qu’il représente non seulement un individu mais une époque toute entière, un classe, le Tiers-Etat : « Comment voulez-vous ? la foule est là : chacun veut courir, on se presse, on pousse, on coudoie, on renverse, arrive qui peut ; le reste est écrasé ».
Il incarne la plus brillante incarnation du valet qui aspire à devenir maître à son tour et résume bien la complexité et la richesse du personnage de Figaro, et au-delà, de la notion même de personnage pour Beaumarchais. Il ressortit bien, comme tout personnage comique, à un « type » mais il le dépasse et la complexifie, le porte à un degré d’individualisation qui lui confère une existence autonome. Parallèlement, loin de demeurer confiné dans un imaginaire purement littéraire et intertextuel, il s’enrichit des échos qui s’établissent entre l’œuvre et les conditions (historiques, idéologiques) de sa production et de sa réception. Représentatif des bouleversements de son temps, porte-parole des « Lumières », il incarne l’esprit de contestation, l’esprit frondeur français et annonce les combats pour les droits de l’homme : « Liberté, égalité, fraternité ».