Le Mariage de Figaro, Beaumarchais : texte et représentation

Pierre-Augustin Caron de Beaumarchais, Jean-Marc Nattier (1755)


Lecture intégrale : La Folle journée ou Le Mariage de Figaro, Beaumarchais, 1784


Introduction au théâtre du XVIIIème siècle

l’évolution du théâtre : du théâtre de caractère au théâtre de situation ;

un théâtre de plus en plus engagé de Marivaux à Beaumarchais : un théâtre subversif où le valet tend à se hisser au niveau du maître, voire à prendre sa place (L’Ile des esclaves, Marivaux);

le mélange des registres comique et sérieux ;

les fonctions du dialogue de théâtre : les caractéristiques du dialogue de théâtre, « un champ de forces » (les situations de communication : vrai ou faux dialogue ? l’équilibre de la parole ou disproportion des répliques : échange, discussion ou dispute, jeu d’esquive, concertation, confrontation ou confidence. ; cf. fonctions argumentative, informative, explicative, déclamative, impressive, expressive…)


Synopsis du Mariage de Figaro

choix de scènes, distribution des rôles, constitution des équipes ;

répétition et début de mise en scène.


Mise en scène du Mariage de Figaro

I, 1 , 2, 3, 5, 7 et 9 ; II, 1 et 12 ; III, 5 ; IV, 7 ; V, 3.


Le Mariage de Figaro (1784*) de Beaumarchais : 92 scènes : le nombre le plus élevé du théâtre français.

*1784 (9 ans après Le Barbier de Séville en 1775 : 44 scènes)

Cette comédie satirique qui appartient à une trilogie fait suite au Barbier de Séville : le spectateur retrouve dans cette comédie satirique Figaro et le Comte Almaviva qui a épousé Rosine (« la Comtesse »), Bartholo, Bazile et Marceline.

Elle met en scène une « Folle journée » : unité de temps, d’action et de lieu (cf. titre)

[1786 – Mozart – Les Noces de Figaro : d’après un livret de Lorenzo Da Ponte inspiré de la comédie de Beaumarchais où l’intention satirique et sociale est quelque peu trahie par le librettiste… Mais l’opéra gagne en légèreté, en charme et en fraîcheur – cf. Stendhal : « La politique dans une œuvre littéraire, c’est un coup de pistolet au milieu d’un concert, quelque chose de grossier et auquel, pourtant il n’est pas possible de refuser son attention. » ]


Problématiques : texte et représentation (double énonciation, « mimesis », « catharsis »)


Quel est l’intérêt dramatique de chacune de ces scènes ?

La parole dans le théâtre de Beaumarchais est-elle libre ? Qui est maître de la parole et de « l’imbroille » ?

Le théâtre, « un champ de forces » selon l’expression d’Antoine Vitez

Le dialogue théâtral : information (I, 1), concertation (II, 2), confrontation * (I, 5 ; II, 19 et III 5) ?

* affrontement, joute oratoire, duel verbal, lieu d’un rapport de force

L’espace scénique, un espace de parole symbolique ? (Y a t-il un maître du jeu ? un bouc-émissaire ?)


Une comédie du XVIIIème siècle : le comique et le satirique ; le respect de la règle des 3 unités classiques : le temps (« la folle journée ») – le lieu (le château) – l’action : le mariage ; mais une conception du théâtre différente (mélange des registres par exemple) qui ouvre la voie au drame romantique du XVIIIème siècle ;


L’esprit des « Lumières » et l’évolution (ou la dégradation ?) de la relation « maître et valet » : Figaro donne une épaisseur psychologique au type du valet de comédie hérité de la « Commedia dell arte ».

Est-il le porte-parole du dramaturge et le vecteur de valeurs exemplaires à la différence de son maître, le Comte Almaviva ? Du Dom Juan de Molière au comte Almaviva de Beaumarchais, la figure du « grand seigneur méchant homme » s’est dégradée : rétrograde et tyrannique, elle s’oppose à l’esprit des « Lumières »


Problématique de la pièce : le Comte Almaviva veut rétablir à son profit l’usage féodal du «droit du seigneur »

Ainsi il porte ainsi atteinte à l’honneur des femmes (la sienne et toutes les femmes) et à celui de son fidèle Figaro, le « barbier de Séville » (qui l’a aidé à épouser Rosine dans la comédie précédente), puisqu’il a jeté son dévolu sur Suzanne, la fiancée de ce dernier qui est également la camériste de la Comtesse dont il prétend obtenir les faveurs la veille de ses noces...

Beaumarchais, à travers le blâme d’Almaviva et de Bartholo qui dans Le Barbier de Séville prétendait épouser Rosine, sa pupille tout en refusant d’épouser Marceline dont il a eu un enfant, prend la défense des femmes.

Molière, un siècle auparavant, dénonçait la tyrannie exercée par les pères sur les enfants et les abus de pouvoir des hommes sur les femmes, avec notamment les mariages forcés ; toutefois, son « grand Seigneur méchant homme » Dom Juan, n’était jamais touché par la « vis comica » (le ridicule n’atteignant que ses victimes). Beaumarchais pousse plus loin l’engagement dans la cause des femmes : Bartholo et Almaviva, réduits par la caricature deviennent des personnages grotesques dont le spectateur peut s’amuser autant que de valets de comédies au cours de cette « folle journée », ce qui n’est pas sans signification à la veille de la Révolution française…





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La scénographie :

L'argument de l'intrigue :

Le schéma actantiel :

Le théâtre de situation :

Histoire du théâtre :
L'évolution de la relation maître-valet dans le théâtre et le roman du XVIIIème siècle.
L'épaisseur psychologique des personnages de domestiques : une révolution dans le théâtre.

à suivre...


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Beaumarchais, Le Mariage de Figaro, I, 1 : une scène d’exposition -

LE THEATRE : texte et représentation

Quel est l'intérêt dramatique de cette scène ?


Perspective dominante : étude des genres et des registres

Perspectives complémentaires : histoire littéraire et culturelle ; intertextualité et singularité des textes.

Activités complémentaires : lecture du théâtre comme « un champ de forces » (Antoine Vitez) à partir des situations de communication et de représentations des scènes étudiées.

Une enquête sur la place du sujet dans l’histoire de la communication et des représentations en perspective croisée avec l’objet d’étude : convaincre, persuader délibérer (l'argumentation : le dialogue).


Rappel : question générique et typologique pour préparer le commentaire et l’exposé oral des EAF :


Quelle est la fonction dramatique* du dialogue de théâtre ?


* « drama » : l’action (une scène d’exposition, des péripéties avec un nœud qui se resserre jusqu’à la crise III, 5 et l’acmé, V, 3», au dénouement).


L’intrigue progresse-t-elle dans cette scène ? Si oui, comment cette scène contribue-t-elle à la faire progresser ? Qu’est-ce qui lui donne son dynamisme ? (point de vue du spectateur sur le plan de la « mimesis » : que voit-il ? Qu’apprend-il ?)

Cette scène donne-t-elle à réfléchir ? Quelles sont les problématiques induites par la double énonciation théâtrale ? Le comique contribue-t-il à l'instruire, à l'édifier ? (point de vue du spectateur sur le plan de la « catharsis » : que voit-il ? Qu’apprend-il ? Que comprend-il ?)

"Castigat ridendo mores"

Pour préparer l’entretien : mettre en scène un extrait du Mariage de Figaro et monter un dossier sur Beaumarchais et la comédie du XVIIIème siècle dans l’esprit des « Lumières ».

Etre capable d'étudier la « scène » (la « texte ») et sa « représentation » en vue de l'exposé et de l'entretien, du commentaire et de la dissertation afin de nourrir un débat en vue d'une délibération sur l'intérêt du « texte » et de sa « représentation » : intéresser l’examinateur au choix de la scène, aux difficultés de la mise en scène et de l’interprétation...


Une scène d’exposition : acte I, scène 1

Extrait de la scène présenté à l’oral : de « Tu prends de l’humeur contre la chambre du château la plus commode» à « et c’est de ta fiancée qu’il veut le racheter aujourd’hui. »

Question générique : Quelle est la fonction dramatique de cette scène ?

Question typologique : Qu’est-ce qui fait l’originalité de ce dialogue ?


Présentation de la comédie et situation du passage dans la scène et dans la pièce : dans la comédie et dans cette scène qui a été coupée (du début jusqu’à : « et c’est de ta fiancée qu’il veut le racheter aujourd’hui. »).

I – 1 –Cette scène inaugurale, comme toute scène d’exposition, présente la situation de l’intrigue : Suzanne, camériste de la Comtesse doit épouser le jour même Figaro, le valet du comte Almaviva. Ce début d’une « folle journée » informe sur le genre, le style, les registres de la pièce. Il est destiné à séduire le spectateur (« captatio bene volontiae »). La scène 1 ne présente que l’intrigue principale : le mariage de Suzanne et de Figaro et les intentions peu louables du Comte.


Résumé du passage :

Dans ce passage, Figaro essaie de convaincre Suzanne des avantages qu’offre la situation privilégiée de leur chambre. La camériste révèle alors les raisons de ses réticences : le maître veut restaurer et exercer sur elle le « droit du seigneur ».


Mouvement de la scène : dynamique joute oratoire et révélation progressive (retardée par Suzanne qui souhaite sans doute éviter un éclat). La camériste de la Comtesse convoitée par Almaviva cherche sans doute à ménager Figaro qui, devenu concierge du château du Comte, subit une double humiliation : Almaviva, non seulement veut abuser de sa fiancée avant les noces, mais il témoigne par là qu’il ne lui est pas reconnaissant des services rendus par le barbier de Bartholo dans l’intrigue de la comédie précédente.

1. Le doute semé par Suzanne dans l’esprit de Figaro : « Tu prends de l’humeur » à « en trois sauts » .

2. La révélation : « en me donnant leçon ».

3. La colère de Figaro, la distanciation ironique de Suzanne : « en secret aujourd’hui ».


Problématique / objet d’étude : le théâtre, « un champ de forces », Antoine Vitez

Le dialogue théâtral : un affrontement ? un échange ou une joute oratoire / l'espace scénique et l'espace de parole symboliques (théâtre : texte et représentation + registres) : les caractéristiques de cette scène d’exposition (intertextualité et singularité des textes) => les effets d’annonce (la «captatio benevolontiae », le schéma actantiel et le comique : joute spirituelle entre Suzanne et Figaro ; ironie dramatique et mélange des registres : Figaro est-il ridicule ? // cf. Rosine, IV 3 dans Le Barbier de Séville).

Un théâtre de situation et de caractère : l'évolution du personnage de Figaro, l'apparition du personnage de Suzanne, sa fiancée.

Problématique / la caractéristique principale de cette scène (intertextualité et singularité des textes)

Question implicite pour le commentaire :

Quel est l’intérêt dramatique de cette scène

[ et comment les caractéristiques de cette scène d’exposition sont-elles soulignées par la représentation ?]

=> annonce du plan


I. Une scène d’exposition :

La tension dramatique de ce dialogue : le badinage amoureux tourne à l'exposition de "champs de forces" qui débouchent sur une révélation décisive pour la suite des événements de cette "folle journée".

Rappel de la situation initiale (avant le passage étudié) : le point de départ de la mise en scène de cette « folle journée » (texte et représentation) commence par une dispute dans le passage étudié.

Figaro arpente l’espace scénique pour le mesurer pendant que Suzanne, sa fiancée essaie un chapeau : préparatif des noces et de la chambre nuptiale. Découverte du décor (didascalies : objets symboliques => disdascalie externe : « le petit bouquet de fleurs d’orange » - interne : le « beau lit que Monseigneur nous donne »

  1. Originalité de l’effet d’annonce : « in medias res »

L’ouverture se fait sur un duo : le tête à tête « homme/femme » qui aboutit à l’affrontement « homme/femme » occupe une place importante dans le théâtre de Beaumarchais ;

Mise en scène enjouée des préparatifs du mariage et de la chambre nuptiale qui tourne à la joute oratoire à la suite de la surprise contrariée de Suzanne lorsqu’elle apprend que la chambre conjugale se place entre celle de « Monseigneur » et de « madame ». Chassé-croisé de répliques brèves : un dialogue mené tambour battant, opposition entre les deux points de vue (parallélisme et opposition, entrecroisement de répliques proche de la stichomythie - cf. Mozart : « Ding, ding »/ « Dong, dong ») ;


  1. Fonctionnement actantiel (allusions au Barbier de Séville : analepse)

Seule Suzanne est un personnage nouveau : dissimulation, ruse, finesse, ironie (cf. II. 2 –les armes de la gaieté) et prudence (« Il faudrait m’écouter tranquillement »), préciosité (citation du paradoxe de Choderlos de Laclos : « Quel les gens d’esprit sont bêtes ! »).

Réapparition de Figaro, du Comte Almaviva « Monseigneur »), de Rosine (« Madame») et de Bazile : il n’a pas changé, sauf de maître. Ancien mauvais génie de Bartholo, devient celui du Comte tout en restant le maître de musique de la Comtesse (« le loyal Bazile, honnête agent de ses plaisirs et mon noble maître à chanter. »)

Tous les personnages principaux sont connus à la fin de la scène.

Dégradation de la situation depuis Le Barbier de Séville : le Comte abuse de son pouvoir, la Comtesse est délaissée, et le maître et les valets sont devenus rivaux (mais Suzanne et Figaro seront alliés de la Comtesse) ;

Le « droit du Seigneur » : Almaviva l’a aboli avec son mariage. Dans le B, le comte était le jeune premier amoureux de Rosine, il la poursuivait dans Séville. Dans le M, c’est un « séducteur à toutes mains », maître de son domaine (sphère privée). Il rétablit le droit de cuissage. Infidèle (« las de courtiser les beautés des environs »), il est présenté comme un être de désir (cf. Dom Juan le « grand seigneur méchant homme » libertin et tyrannique) : alors que «madame » sonne si elle est « incommodée », « Monseigneur » sonne s’il veut quelque chose (ambiguïté de l’expression « quelque chose » = « droit du seigneur », « droit honteux ») ;

Naïveté de Figaro réduit par l’ironie dramatique (« Tu croyais, bon garçon, que cette dot qu’on me donne était pour les beaux yeux de ton mérite ? / J’avais assez fait pour l’espérer. Il argumente (« la chambre du château la plus commode ») sans connaître les raisons de la générosité du Comte et de « l’humeur » de sa fiancée. Suzanne se moque de lui : elle cite une maxime de Choderlos de Laclos (« Que les hommes d’esprit sont bêtes ») pour dédramatiser par une généralisation. La capacité de distanciation de Suzanne et sa vivacité prouvent sa supériorité. igaro est inférieur au Comte : d’abord la colère s’abat sur Bazile car le Comte est inattaquable. Ensuite, il est effondré physiquement et moralement (jeu scénique) par les révélations de Suzanne (Se frottant la tête. « Ma tête s’amollit », cf. passage qui suit).

TRIPLE HUMILIATION DE FIGARO : doublement humilié par le Comte qui le trahit alors qu’il devrait lui témoigner de la reconnaissance + humilié par le fait que Suzanne, sa fiancée est ai courant sans qu’il le sache alors qu’habituellement c’est lui qui mène le jeu (+ Bazile dont il minimisait le pouvoir stratégique dans Le Barbier de Séville participe à l’intrigue menée contre lui

Déplacement pathétique de sa colère impuissante du Comte sur Bazile (« si jamais volée de bois vert »…). Il ne peut pas affronter le Comte ouvertement. Il imaginera une machination (« une imbroille ») à la scène 2 de l’acte II.

Renversement des rôles : c’est Suzanne qui mène le jeu en faisant preuve de rouerie féminine (« Oh ! quand elles sont sûres de nous ! ») et d’esprit.

De complice et protecteur, le Comte est devenu opposant.


  1. Les effets d’annonce symboliques : le théâtre « champ de forces » , Antoine Vitez (texte et représentation) => la chambre est un lieu « intime » que les protagonistes cherchent à s’approprier (cf. problématique de la prise conscience individuelle dans l’ordre collectif ; révolte des valets qui annonce la Révolution française)

L’espace scénique représente un espace dramatique : les mesures de la chambre sont les mesures de l’espace scénique : le lieu est l’instrument d’une expérimentation, d’une réflexion sur l’espace (19 pieds sur 26 = 6 m sur 8,50 = scène de la comédie française). Figaro est un « machiniste » (cf. préface du Barbier de Séville) qui prend possession de son espace de jeu.

La chambre se situe entre les chambres du comte et de la comtesse : c’est un espace domestique. Les valets sont au service des maîtres => l’exiguïté de la scène est représentative de la condition sociale des valets au XVIIIème siècle, voués à la servitude 24 heure sur 24 ;

Fonction symbolique de l’espace scénique : un espace menacé (lieu d’affrontement)

-- par sa situation géographique : entre les deux maîtres

-- par le Comte : c’est un espace de conquête (dans l’ordre social la femme est au service du seigneur)

Dans l’ordre social, le valet est au service du maître, et la femme au service du seigneur : double servitude de Suzanne (// double humiliation de Figaro). Figaro et Suzanne sont des vassaux : ils doivent obtenir la permission du maître pour se marier.

Interprétation des symboles représentés par les didascalies externes (« le petit bouquet de fleurs d’orange ») et internes : « « Oh ! que ce joli bouquet virginal », le « beau lit que Monseigneur nous donne » objet du litige.


Problématique/ oeuvre (thèse de Beaumarchais): la pièce s’ouvre sur une réflexion sur le statut des femmes, la destinée humaine, l’ordre social et ses privilèges (« droit du seigneur », « droit honteux »), l’impuissance de la femme à se défendre, si bien que l’intrigue va consister à attraper «ce grand trompeur ». Suzanne va chercher à protéger son mariage en protégeant son espace : combat pour les libertés de Beaumarchais qui s’oppose aux idées rétrogrades –cf. Bartholo : opposé à l’esprit des « Lumières » et tyrannique dans Le Barbier de Séville => le mariage forcé)

Révélation de l’enjeu principal de la pièce : « e droit du seigneur » (dénouement I – 10 ?). Par la parole, la gaieté, les embrouilles, l’esprit, la révolte, Figaro est le portrait de Beaumarchais qui combat les idées rétrogrades incarnées dans Le Barbier de Séville par Bartholo, dans La Folle journée ou le mariage de Figaro par le Comte.


II Les armes de la gaieté ou la comédie restaurée

1. La dynamique de la révélation Un dialogue menée tambour battant :

progression propre au style de Suzanne qui mène le jeu. La scène se passe dans une franche gaieté : concision, rapidité, surprise. L’entêtement de Suzanne à ne rien dévoiler d’abord entraîne la vivacité du dialogue.

Symétrie et opposition entre les deux premières répliques du passages : reprise ironique de Suzanne avec l’affirmation « fort bien » et l’opposition « Mais ». Familiarité de l’ interjection (« zeste »), de l’onomatopée (« crac ») et accélération du rythme (parataxe et style allusif pour semer le doute : pourquoi elle, ne cite-t-elle que le Comte ?). Interruption (points de suspension) : est-ce elle qui s’est interrompue ? ou Figaro qui l’a coupée ?

Effets de contraste amusant (jeu scénique) entre la légèreté de ton de Suzanne (sa vivacité moqueuse, son ironie) et l’inquiétude montante de Figaro (avant qu’il laisse éclater sa colère contre Bazile) : 2 questions, interjection (« Eh !), juron (« bon Dieu ! ») qui expriment son trouble.

Préciosité de la révélation de Suzanne (antiphrase, litote, personnification, II, 2 + structure proche du chiasme pour mettre en valeur le deuxième terme de l’opposition qui précise l’objet de la révélation : « monsieur le comte Almaviva veut rentrer au château, mais non pas chez sa femme ; c’est sur la tienne […] qu’il a jeté ses vues »)

Alternance de familiarité et d’emphase (champ lexical des coups et apostrophe « ô mon mignon » = emphase comique du « ô » poétique + hypochoristique)

La reprise du pronom indéfini « on » = stichomythie


2 Les armes de la gaieté : cette scène comporte tous les types de comique, tous les registres : de la farce au trait d’esprit (la « vis comica ») comique de situation : ironie dramatique (cf. I- 2 le fonctionnement actantiel)

Comique de farce : menace de « volée de bois vert », thème du cocu (avant les noces de surcroît) = thème récurrent du théâtre populaire (« bouton », « cornes du cocu »)+ thème du valet de comédie (Scapin): homme du peuple grivois, à l’esprit vif, rusé, intéressé par l’intrigue et par l’argent (« De l’intrigue et de l’argent, te voilà dans ta sphère ») , cf. Commedia dell’arte;

Comique de mots :

-- mots d’esprit de Suzanne : finesse, ironie (litote : « ce logement de nuira pas » ; antiphrase : « « le loyal Bazile », « honnête agent de ses plaisirs », « mon noble maître à chanter » ; personnification : « les beaux yeux de ton mérite »)

-- de la farce au trait d’esprit (farce, situation, caractère : l’ironie dramatique ? mélange des registres), la parole est reine (fonction ludique du langage)

-- la parole surpasse l’action : « si jamais de bois vert, appliquée sur une échine »)


3. Le mélange des registres : le comique de caractère (Figaro)

Originalité et évolution du personnage de Figaro = création de Beaumarchais -- des personnages de -- -- valet de comédie (cf. Commedia dell’arte) + porte-parole des idées des « Lumières » (cf. V, 3 : tirade de Figaro)


Dans cette scène d’exposition, la révélation est la finesse du personnage de Suzanne que le spectateur découvre et sa révélation qui lance l’intrigue en exposant le nœud dramatique : la restauration d’un « droit honteux » que le Comte Almaviva avait aboli (sujet sérieux traité avec légèreté par Beaumarchais qui est léger par profondeur). Elle offre un contraste surprenant pour le lecteur-spectateur du Barbier de Séville habitué à la virtuosité verbale et à la gaieté de Figaro entre le discours précieux, rhétorique de Suzanne, les traits d’esprit et l’entrain de la fiancée de Figaro qui mène alertement le jeu et la naïveté de ce dernier qui joue le rôle de dupe : de la confiance niaise il passe à une colère déplacée qui témoigne de son sentiment d’impuissance et d’humiliation, et par là, de la gravité du propos. Cette gravité est soulignée par Suzanne (« Tu sais s’il était triste ») qui a le mot de la fin de ce passage. Elle rappelle la particularité du comique de Beaumarchais révélée dans la réplique de Figaro dans Le Barbier de Séville: « Qui t’a donné une philosophie aussi gaie ? / L’habitude du malheur. Je me presse de rire de tout, de peur d’être obligé d’en pleurer. ». Le mélange des registres crée une tension particulière à cette comédie du XVIIIème siècle avec le personnage de Figaro qui reste malgré tout le personnage mythique des pièces de Beaumarchais et le porte-parole des idées du dramaturge. Il incarne toujours l’esprit frondeur français, la vivacité d’esprit , le don de répartie, la gaieté et le mouvement du valet de comédie inspiré de la commedia dell’arte élevé au rang de héros à part entière. S’il semble dépassé par Suzanne dans cette scène d’exposition où le spectateur le découvre en posture de dupe alors qu’il était le meneur de jeu du Barbier de Séville, cette prise de conscience initiale donnera de l’épaisseur psychologique au personnage et le poussera à réagir. Porteur d’un message philosophique et porte-parole de Beaumarchais on va le voir s’interroger sur la nature humaine (notamment au cours de la tirade de l’acte V). Même si ici le spectateur découvre que l’amour et l’embourgeoisement (l’installation dans les meubles et la chambre donnée par le Comte, son projet de mariage) l’ont rendu aveugle, imprudent et un peu benêt dans cette scène, il retrouvera son esprit et son sens de l’intrigue (« De l’intrigue et de l’argent, te voilà dans ta sphère », reconnaît Suzanne dans le passage qui suit), à la scène deux de l’acte deux pour imaginer une « machination » qui lui permettra « d’attraper ce grand trompeur », avec l’aide de Suzanne et de la Comtesse…


Le comique particulier de Beaumarchais : tension dialectique entre la gaieté et la tristesse, mélange des registres => « Qui t’a donné une philosophie aussi gaie ? / L’habitude du malheur. Je me presse de rire de tout, de peur d’être obligé d’en pleurer. » Le Barbier de Séville, I, 2


Beaumarchais, Le Mariage de Figaro, I, 5

Le dialogue, un « champ de forces » : une scène de comique de mots (duel verbal entre Suzanne et Marceline : stichomythie) - LE THEATRE : texte et représentation (que voit-on ? Qu'entend-on ? Qu'apprend-on ?)


Perspective dominante : étude des genres et des registres

Perspectives complémentaires : histoire littéraire et culturelle ; intertextualité et singularité des textes

Que voit-on ? Qu'entend-On ? Qu'apprend-on ? En qui est-ce une comédie ... du XVIIIème siècle ?

Rappel : question générique et typologique pour préparer le commentaire et l’exposé oral des EAF :


Quelle est la fonction dramatique du dialogue de théâtre ?


* « drama » : l’action (une scène d’exposition, des péripéties avec un nœud qui se resserre jusqu’à la crise III, 5 et l’acmé, V, 3», au dénouement).


L’intrigue progresse-t-elle dans cette scène ? Si oui, comment cette scène contribue-t-elle à la faire progresser ? Qu’est-ce qui lui donne son dynamisme ? (point de vue du spectateur sur le plan de la « mimesis » : que voit-il ? Qu’apprend-il ?)

Cette scène donne-t-elle à réfléchir ? Quelles sont les problématiques induites par la double énonciation théâtrale ? Le comique contribue-t-il à (point de vue du spectateur sur le plan de la « catharsis » : que voit-il ? Qu’apprend-il ? Que comprend-il ?)


Question implicite pour le commentaire :

Quel est l’intérêt dramatique de cette scène [ et comment les caractéristiques de cette scène comique sont-elles soulignées par la représentation ?] => annonce du plan


Problématique / la caractéristique principale de cette scène (intertextualité et singularité des textes)


I. L'ACTION : situation du passage dans la scène et dans la pièce=> progression.


Résumé du passage : 2 opposants au mariage de F et S sont apparus dans la scène précédente.

Marceline (l'ancienne duègne de Rosine, la Comtesse) entend rivaliser avec Suzanne et lui disputer son fiancé. Bartholo et elle se sont entendus dans la scène précédente. Ce dernier est enchanté de se venger de Figaro qui a aidé le Conte Almaviva à lui ravir Rosine (sa pupille) : « c'est un bon tour que de faire épouser ma vieille gouvernante au coquin qui fit enlever ma jeune maîtresse » (I, 4).


Progression : cette scène met en place une complication de l'intrigue principale (2ème intrigue) : le projet de mariage de Marceline avec le fiancé de Suzanne vient compliquer l'intrigue principale axée sur le mariage de Figaro et Suzanne qui devrait clôre cette « folle journée » (projet déjà contrarié par les projets du Comte qui entend exercer le « droit du Seigneur » sur la camériste de sa femme et la fiancée de son fidèle serviteur).


    II. LE COMIQUE : une scène d'affrontement comique.

    Une scène comique : une joute oratoire entre 2 rivales avec la stichomythie * (comique de mots) pour principal effet et la mise en abîme.

* dans une tragédie en vers les interlocuteurs se répondent vers pour vers, dans une comédie en prose, mot à mot ou du tac au tac (exemple : «-- L'épouser , l'épouser » / «-- [...] Vous l'épousez-bien ? » ; « -- Votre servante, madame »/ « -- Bien la vôtre, madame » + répétition de « madame » aux répliques suivantes; « C'est aux duègnes ... « / -- Aux duègnes! Aux duègnes! »).

Comique farce : de mots et de geste (didascalies : « une révérence ») => l'ironie des réparties douces-amères des 2 rivales (stichomythie) ; la vivacité de ce « duel » verbal : les interrogatives, les exclamatives et les interjections ; crescendo : montée de la colère de Marceline (de « aigrement » à « outrée »).

Comique de caractère : l'opposition des 2 femmes => conflit de génération ; perfidies féminines (attaques « ad feminem ») : allusions ironiques de Marceline (« « C'est une si jolie personne que madame !» ; « Surtout bien respectacle! »)

Comique de situation : Bartholo assiste à la scène et double le spectateur (mise en abîme);

Le comique particulier de Beaumarchais : tension dialectique entre la gaieté et la tristesse, mélange des registres => « Qui t’a donné une philosophie aussi gaie ? / L’habitude du malheur. Je me presse de rire de tout, de peur d’être obligé d’en pleurer. » Le Barbier de Séville, I, 2


LE PIEGE SE RESSERRE AUTOUR DES 2 FIANCES : « effrayons d'abord Suzanne sur la divulgation des offres qu'on lui fait » , Marceline, I, 4 (cf. l'air de la calomnie de Basile dans Le Barbier de Séville.

Mais Suzanne ne se laisse pas faire : « Allez , madame! Allez, pédante! Je crains aussi peu vos efforts que je méprise vos outrages » (I, 6) ==> Qui semble l'emporter à la fin de cette scène ? (qui le ridicule vise-t-il?)


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Bibliographie complémentaire sur les dramaturges et romanciers du siècle des Lumières :

L'Ile des esclaves et Le Jeu de l'amour et du hasard de Marivaux
Le Barbier de Séville, Beaumarchais

Paradoxe sur le comédien et Jacques le fataliste et son maître de Diderot
Le Paysan parvenu et La Vie de Marianne de Marivaux
Les Liaisons dangereuses, Choderlos de Laclos


cf. Le Théâtre des paroles et "Le Vrai sang" de Valère Novarina : http://tempotheatre.blogspot.com